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En Argentine, fronde contre les mines du groupe Xstrata

Le géant minier suisse fait face à la révolte d’une petite ville, Andalgala. En cause, les effets d’un méga-projet sur les ressources en eau.

Andalgala , Jérôme Le Boursicot/InfoSud - A Cerro Negro, la mobilisation bat son plein contre la compagnie minière La Alumbrera, détenue à 50% par la société suisse Xstrata. Depuis le 9 juillet, des activistes de toute l’Argentine bloquent les camions de ce consortium minier canado-suisse et coupent ainsi l’approvisionnement de Bajo La Alumbrera, l’une des plus grandes mines à ciel ouvert d’Amérique latine. Ils luttent « pour l’autodétermination des peuples et la préservation de l’environnement ». Nombre d’habitants d’Andalgala sont dans le lot.

Depuis quinze ans, la petite ville montagnarde – 15 000 âmes – de la province de Catamarca, au nord-ouest du pays, rejette la mine d’or et de cuivre Bajo La Alumbrera. Mais un autre projet minier, porté lui aussi par Xstrata, cristallise désormais les mécontentements.

C’est Agua Rica, encore en phase exploratoire. Trois fois plus grande que Bajo La Alumbrera, la nouvelle mine consommera et polluera d’autant plus les ressources en eau de la localité, selon ses détracteurs.

« Dehors Agua Rica », « Non à la mine, oui à l’eau », sur les pancartes, les slogans sont sans équivoque en ce 354e anniversaire d’Andalgala. Les militants de l’assemblée El Algarrobo défilent sous les applaudissements des habitants, répondant à l’appel du maire au micro. « Avec Agua Rica, ils pomperont directement dans des sources qui alimentent la ville », s’indigne Patricia Figueroa, une activiste. L’agriculture, activité essentielle dans la région et grande consommatrice d’eau, est menacée, ajoute-elle.


image : (c) Jérôme Le Boursicot

Dans les rues d’Andalgala, les badauds se joignent au cortège. Depuis la violente répression de la police provinciale le 15 février 2010, la majorité de la population soutient le mouvement.

Luis Enrique, sous les drapeaux multicolores, décrit des scènes de guerre civile : « Les femmes pleuraient sur la place centrale, une nuit d’horreur. Les forces antiémeute ont épuisé leurs balles en caoutchouc. » Résultat : des centaines de blessés et une quarantaine d’arrestations.


La mère de Luis Enrique évoque la répression du 15 février 2010 en ces termes : "C’était terrible, les femmes pleuraient toutes. Moi, je suis restée prostrée dans la camionette."
image : (c) Jérôme Le Boursicot

Le groupe rejette la critique

La Alumbrera nie toute pollution et se targue de respecter les standards internationaux les plus exigeants en matière de gestion de l’eau. Selon l’Assemblée El Algarrobo, le consortium aurait acheté les universitaires réalisant les contrôles. La province, qui y participe également, dépend de la manne minière, ajoutent les militants.

La fondation Service Paix et Justice du Prix Nobel de la paix Adolfo Pérez Esquivel évoque notamment plusieurs études pointant diverses pollutions générées par l’exploitation du gisement. Alors, les habitants d’Andalgala redoutent les maladies. Et subissent, avec les élus municipaux, pressions et menaces des autorités de la région, toutes dans les poches de La Alumbrera, selon l’ONG Les Amis de la Terre.

La présidente défend la mine

« Derrière chaque délit environnemental, il y a un fonctionnaire corrompu », renchérit Gustavo Antonio Gomez. Le procureur fédéral de la province de Tucuman a, le 28 mars 2012, déposé plainte auprès de la Cour interaméricaine des droits de l’homme contre l’Etat argentin.

Il dénonce « l’impunité » dont jouit La Alumbrera, qui ne respecte pas toutes les lois environnementales. L’industrie minière bénéficie d’un allié de poids : la présidente argentine Cristina Kirchner soutient sans concession le développement du secteur.

Autre grief contre la joint-venture, pointé par des ONG : grâce à une législation favorable, les bénéfices record dégagés ne profitent guère à la population locale, minée par le chômage. Patricia résume : « Nous vivons près de richesses incroyables mais restons pauvres comme des rats. »

Ville divisée

L’entreprise rétorque que plus de la moitié des 2200 personnes travaillant sur le site existant sont originaires de Catamarca. Et de souligner sur son site web qu’elle finance la construction d’écoles et d’hôpitaux dans la province. « On est loin des 6000 emplois ou des 5000 logements annoncés au départ », s’irritent les manifestants. Les mines à ciel ouvert divisent la localité, regrette le maire. La centaine d’employés de La Alumbrera à Andalgala touche des salaires qui font des envieux. « Nous avons des familles à nourrir », se justifie Emanuel Rios, ingénieur chez Xstrata, au volant d’une camionnette flambant neuve.

De leur côté, les opposants aux mines de Xstrata ne lâchent rien. Le rassemblement de Cerro Negro vise même à étendre le mouvement de contestation contre « les méga-projets miniers, qui pillent les richesses nationales au détriment de l’environnement ». En attendant, lors des repas de mariage, à Andalgala, il y aura maintenant toujours deux tables. Celle des anti. Et celle des pro-mine.

Une multinationale en quête d’acquisitions

S’il est basé à Zoug, le géant ­Xstrata est avant tout un mastodonte britannique, puisque ses opérations sont menées de Londres. Le groupe a réalisé en 2008 un chiffre d’affaires de près de 28 milliards de dollars (29,7 milliards de francs) pour un bénéfice net de 4,7 milliards

S’il est basé à Zoug, le géant ­Xstrata est avant tout un mastodonte britannique, puisque ses opérations sont menées de Londres. Le groupe a réalisé en 2008 un chiffre d’affaires de près de 28 milliards de dollars (29,7 milliards de francs) pour un bénéfice net de 4,7 milliards. Ses activités minières se déploient dans 19 pays et vont du cuivre au zinc, en passant par le nickel. Ces dernières années, Xstrata a mené une politique d’acquisitions très agressive, qu’il poursuit ces jours-ci en visant son rival anglo-américain.

Le Temps du 28 juillet 2009