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Perenco, le double visage d’un pétrolier en pays maya

Alors qu’au Guatemala le pétrolier pollue les territoires mayas, à Paris, il n’a pas hésité à sponsoriser une
expo sur ces communautés. Une hypocrisie dénoncée par Grégory Lasalle dans un documentaire projeté à Genève.

Sandra Titi-Fontaine/InfoSud - Dans le nord du Guatemala, au cœur du parc national de la Laguna del Tigre, le géant pétrolier Perenco applique la formule qui a fait sa fortune ailleurs : l’exploitation de puits « en fin de vie ». Mais ses impacts sont nombreux dans cette vaste zone humide - l’une des plus importantes au monde après le Pantanal au Brésil -, au détriment des communautés indigènes dont un grand nombre de Mayas. Paradoxalement, l’entreprise franco-britannique subventionne à Paris une exposition controversée sur la civilisation Maya préhistorique, qui se tient au musée du quai Branly jusqu’au 1er octobre.

Un mécénat hypocrite pour le journaliste indépendant Grégory Lasalle. Dans son documentaire « Des dérives de l’art aux dérivés du pétrole », lui qui vient de passer 6 ans au Guatemala pour couvrir les luttes sociales, dénonce sur le fond la politique néolibérale du gouvernement Molina, qui laisse aux mains d’une oligarchie nationale le soin de développer tous les méga projets du pays au nom de la lutte contre la pauvreté.


Selon le réalisateur Grégory Lasalle, ici au premier plan, Perenco se substitue à une vraie politique du secteur privé au Guatemala, ce qui lui permet de contrôler
deux choses essentielles : les principales voies d’accès et le développement économique de la région de la Laguna del Tigre.
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Quels sont les impacts de l’exploitation pétrolière sur les Mayas aujourd’hui ?

Avant tout, un conflit persistant pour la propriété de la terre. D’un côté, on a une entreprise pétrolière qui a le droit d’exploiter dans des zones pourtant protégées. Et de l’autre côté, on a des communautés paysannes sans terre, qui risquent d’être expulsées à tout moment car jugées comme des occupants illégaux. Leur environnement est aussi gravement touché. L’entreprise elle-même déconseille de se baigner ou de boire l’eau des puits situés trop près des forages. Le problème est que la Laguna del Tigre est très vaste, difficile d’accès et très éloignée. Sans présence des institutions publiques, sur son sol cohabitent des militaires, des narcotrafiquants et des entreprises pétrolières.

Dans votre documentaire, il est justement frappant de voir comment Perenco s’est accaparée la région.

On est dans un système où Perenco se substitue à une vraie politique du secteur privé au Guatemala, ce qui lui permet de contrôler deux choses essentielles : les principales voies d’accès et le développement économique régional. La société administre les centres de santé, élabore les projets d’éducation… dont la plupart se révèlent de piètre qualité.
Enfin, au nom d’un accord privé/public, le pétrolier – qui exploite 90% de l’or noir guatémaltèque - finance la présence de l’armée dans la zone d’exploitation. Officiellement pour combattre les narcotrafiquants et protéger la nature, mais dans les faits, ces militaires sont payés par Perenco pour protéger leurs installations et empêcher toute mobilisation sociale. En ce sens, le pétrolier fragilise fortement la démocratie et l’émergence d’un Etat de droit dans un pays qui a connu un génocide et où l’armée rime avec répression et contrôle des populations.

Perenco a-t-elle des appuis localement ?

Evidemment, puisqu’en 2010 l’Etat guatémaltèque a renouvelé son permis d’exploitation pour 15 ans, dans des conditions plus que troubles. Il y a aussi une préoccupation de l’ambassade de France à Guatemala City pour tout ce qui touche cette entreprise dont le siège administratif est à Paris. On sait que cette ambassade a conseillé à Perenco, en vertu de tous les conflits dans le pays, de s’impliquer dans la protection du patrimoine environnemental et archéologique, et donc de financer des projets en ce sens dans le département du Peten où se trouvent ses installations. Et aussi de soutenir une exposition sur les Mayas à Paris. Mais s’ils mettent en scène la dimension spirituelle et historique de cette communauté, avec un côté Indiana Jones certain, ils occultent complètement leur réalité sociale et économique actuelle.

Double langage, double visage ?

C’est une entreprise très opaque, difficile à cerner. Financer un tel événement lui permet de laver sa réputation. Et elle n’est pas la seule à s’engouffrer dans cette brèche. D’ici un mois, Total va soutenir une exposition sur le Nigeria, toujours au musée du quai Branly. Et quand on connaît les ravages de l’exploitation pétrolière sur le Delta du Niger….


Réponse de Pérenco

Contacté par téléphone, Nicolas de Blanpré, responsable de la communication de Pérenco, nous a fait la réponse suivante :

« La contribution principale de Perenco au Guatemala se trouve dans les retombées économiques et fiscales de notre activité pour le pays. Dans le parc lui-même, une seule communauté sur 37, vit à proximité immédiate de nos installations. Le statut juridique précaire de ces populations à l’intérieur du parc nous interdit de leur venir directement en aide sans contrevenir à la loi. Une partie des revenus pétroliers est directement versée aux autorités du parc afin d’endiguer la déforestation et de lutter contre un autre fléau local, le narcotrafic. »

Informations pratiques

Ce documentaire sera projeté en ouverture de la conférence « Quelle impunité au Guatemala ? Du cas Perenco à la responsabilité pénale des entreprises et de leurs filiales », qui aura lieu le 19 septembre à 19h30 à Fonction Cinéma. Puis il sera à nouveau diffusé dans le cadre du festival Filmar en América Latina, du 17 novembre au 2 décembre.