Genève, Sandra Titi-Fontaine - Une quarantaine de films à l’affiche, quelques 110 intervenants, plus de 21000 spectateurs attendus... La 11ème édition du Festival du film et forum international sur les droits humains (FIFDH), qui a lieu du 1er au 10 mars à Genève, s’impose comme l’un des poids lourds de l’espace culturel européen en matière de défense des libertés. Sous la houlette de Léo Kaneman, son directeur, cette édition 2013 est placée sous le signe de l’art comme arme ultime de contestation. « Car meilleur est le film d’un point de vue esthétique, plus on parle des droits humains », estime Kaneman.

Des dérives intégristes en Tunisie et en Egypte, à la Russie des Pussy Riots et l’Ukraine des Femen, qui utilisent un art provocateur pour dénoncer les « démocratures » qui les gouvernent, le festival aborde les points chauds de l’actualité. La Syrie se voit consacrer une soirée d’exception. Après la projection de deux documentaires, un débat réunira notamment Carla Del Ponte, membre de la commission de l’ONU chargée d’enquêter sur les crimes commis dans le pays, et Fadwa Suleiman, grande actrice syrienne entrée en résistance.

Face au Conseil des droits de l’Homme de l’ONU, le festival se veut une tribune libre pour dénoncer le « deux poids, deux mesures » dans la résolution des conflits sur l’échiquier international. « Pour des raisons d’Etat, le Conseil a opté pour une démarche de realpolitik et n’empoigne pas suffisamment les graves violations des droits commises aujourd’hui, analyse Kaneman. Comment expliquer l’intervention au Mali et l’inaction de la communauté internationale face aux crimes perpétrés par le régime syrien de Bachar Al Assad, ou ceux du gouvernement du président ouzbek Karimov, la pire des dictature d’Asie Centrale ? »

Les combattants de la paix

La question palestinienne est abordée sous un autre angle. My Neighbourhood (2012) narre la rencontre entre Mohammed, jeune palestinien de 11 ans, dont la maison est envahie par des colons israéliens, et Zvi, étudiant en médecine israélien qui s’engage contre la colonisation. De même, dans Les combattants de la paix, Rami, père de famille israélien qui a perdu sa fille dans un attentat suicide à Jérusalem-ouest en 1997, fait la connaissance de Bassam, dont la fille a été abattue par un soldat de Tsahal alors qu’elle sortait de l’école. Tous les deux animent une émission sur la radio palestino-israélienne Tous pour la paix.

Acte politique fort

En pointe de ces luttes pour les libertés, il y a la jeune Pakistanaise Malala Mousafzai, à qui le festival est dédié cette année, et dont le père sera présent à la cérémonie d’ouverture le 4 mars. On se rappelle que des Talibans avaient tenté de l’assassiner pour avoir revendiqué son droit, en tant que fille, d’aller à l’école. Miraculée, elle est devenue l’un des symboles de la lutte pour les libertés.

Autre grand absent de la cérémonie, l’artiste chinois Aï Wei Wei, trublion de l’art contemporain qui utilise ses créations pour contester le régime communiste. Privé de passeport par les autorités de son pays, ce compagnon de route d’Andy Warhol présidera quand même le jury des documentaires de création. « Les films lui seront envoyés, assure Kaneman, cette participation est un acte politique fort. » Suivant le mot d’ordre du festival, « un film, un sujet, un débat », une soirée spéciale sera d’ailleurs consacrée à la Chine le 7 mars, avec l’intervention de quatre dissidents.

« Certes, inviter la majorité des intervenants à prendre la parole et s’exposer publiquement sur un problème touchant les droits humains, alors qu’eux-mêmes sont des activistes reconnus et engagés, peut les exposer à de nombreux dangers, surtout quand ils ne vivent pas en exil, concède Kaneman. Cependant chacun prend ses responsabilités : nous assumons notre rôle de relais pour leur combat, non sans cas de conscience. Mais eux seuls peuvent évaluer les risques encourus. »

Tribune libre

Au niveau des documentaires de création, l’incontournable Camp 14, Total Control Zone de Marc Wiese, récit dur et captivant de la vie d’un jeune Nord-Coréen échappé des camps de Pyongyang, semble l’un des favoris pour le prix. Remarqué aussi Difficult love, de Zanele Muholi et Peter Goldsmid, qui relate l’enfer vécu par la majorité des lesbiennes en Afrique du Sud, des viols correctifs au rejet d’une société qui a pourtant légalisé le mariage homosexuel.

Parmi les 35 festivals de films consacrés aux droits humains dans le monde, le FIFDH est le seul à proposer une tribune libre aux défenseurs des libertés. Et s’enorgueillit d’avoir su attirer un public « citoyen », où les jeunes viennent de plus en plus, à côté des universitaires et autres fonctionnaires internationaux. Il innove enfin, en exportant ses activités et son label en Suisse alémanique, avec des projections et des débats à Bâle et Zurich.