A lire sur L’Orient/Le Jour

Ces temps-ci, les questions que l’on se pose ne sont pas de savoir qui du régime ou de l’opposition finira par l’emporter, quelle sera l’issue du mouvement des jeunes de toutes les places al-Tahrir du pays, ou encore si les Bédouins du Sinaï obtiendront ou non gain de cause – si tant est que l’on sache ce qu’ils réclament de l’État. Dirigeants et homme de la rue comprennent que quelque chose est en train de se jouer, de plus important qu’une querelle autour du choix des ministres ou de la date des législatives, que ce qui au départ était un vulgaire bras de fer commence à échapper à tout contrôle et que, quoi que l’on fasse, l’Égypte se dirige droit vers l’abîme, dans une course kafkaïenne entre politique et économie.

Un exemple du dilemme que Salomon lui-même, dans sa légendaire sagesse, n’aurait pu trancher ? Pour obtenir le déblocage des 4,8 milliards de dollars représentant une simple bouffée d’oxygène pour un malade qui étouffe, Mohammad Morsi devra passer par les fourches caudines du Fonds monétaire international, c’est-à-dire – entre autres dispositions – abolir le système des subventions aux produits de première nécessité, à commencer par le pain. Ce qu’il ne saurait faire sans risquer des émeutes de la faim, mortelles pour lui et les siens. Un problème aggravé par le fait que cette aide enclencherait de par le monde un vaste mouvement de soutien qui se traduirait, prédisent les spécialistes, par des crédits de l’ordre de 15 milliards de dollars. En attendant cette manne, le chef de l’État fait semblant de se contenter des 4 milliards déposés auprès de la Banque centrale égyptienne par le Qatar, imité à hauteur de un milliard pour chacun par Riyad et Ankara. Les frileuses monarchies du Golfe ont fait savoir pour leur part qu’elles allaient se pencher sur le dossier, obligeant Le Caire à se tourner vers l’Irak et la Libye. Aux dernières nouvelles, les Frères musulmans étudieraient une proposition faite par l’Iran, l’acceptation, si elle devait intervenir, de cette dernière offre promettant d’être riche en retombées aussi explosives qu’inattendues.

En attendant un plan de sauvetage auquel nul ne croit plus, les chiffres traduisent l’inexorable dégringolade d’une économie qui, sans avoir été particulièrement florissante, parvenait avant 2011 à garder la tête hors de l’eau. Depuis la chute de Moubarak, le taux du chômage ne cesse de monter jusqu’à atteindre la barre des 13 pour cent, tandis que le pourcentage d’Égyptiens vivant au-dessous du seuil de pauvreté est passé de 21 à 25 pour cent ; à la fin de l’année fiscale, en juin, le déficit budgétaire avoisinera 12 pour cent du PIB ; l’inflation bat tous les records avec un taux de 8,7 pour cent ; enfin, depuis janvier, la monnaie nationale a cédé 10 % de sa valeur (le dollar s’échange désormais à 7 guinées contre 5,6 le mois dernier). Le ministère du Tourisme estime à 2,5 milliards de dollars le volume des pertes dans le secteur dont il a la charge. L’instabilité politique, toujours selon la Banque centrale, a provoqué un coup d’arrêt aux investissements étrangers et aux dépôts, soit un manque respectivement de 418,1 millions et 3,3 milliards de dollars pour le second semestre 2011.

Cette lente descente aux enfers, il serait injuste d’en accuser le régime en place. Il y a un an, le Conseil suprême des forces armées, alors au pouvoir, avait pris l’habitude de recourir à des emprunts étrangers pour équilibrer le budget, le total atteignant 10 milliards destinés à financer les dépenses courantes. Mais le déficit avait commencé à se creuser du temps de Hosni Moubarak sans que rien ne soit tenté pour à la fois mettre en chantier des mesures d’austérité et restructurer la dette.
La bombe à retardement a fini par exploser à la face du chef de l’État, peu au fait des subtilités de l’économie mondiale, engoncé dans le carcan d’une idéologie héritée d’un autre âge (la confrérie, née en 1928, vient de célébrer ses 85 ans) et convaincu qu’il lui faut surtout défendre la place contre les convoitises de ses adversaires, pendant que le peuple continue de réclamer du pain et une plus grande liberté. Les procédures contre des journalistes se multiplient, la dernière en date ayant été engagée contre l’humoriste Bassem Youssef. Ceci encore : la police a ouvert un crédit de deux millions de dollars pour l’achat de 140 000 masques à gaz destinés à ses agents. Fort bien, mais qu’advient-il quand ceux-ci entrent en dissidence ?...