Nairobi, Miriam Gathigah/ InfoSud-IPS - Comme son père avant lui, Zakayo Ekeno élève tant bien que mal son bétail sur les terres arides du comté de Turkana, dans le nord du Kenya. Située dans la vallée du Rift, cette région est connue pour être la plus pauvre du pays, subissant des conditions climatiques extrêmes. La dernière grosse sécheresse, en 2011, a frappé de plein fouet près de dix millions de personnes dans ces communautés de bergers, pour la plupart nomades.

Alors rares sont ceux qui auraient pu imaginer que sous cette terre brûlée
par le soleil se trouvaient 200 milliards de mètres cubes d’eau douce. Soit un volume suffisant pour couvrir les besoins des 41,6 millions de Kenyans pendant septante ans, comme l’ont annoncé mi-septembre le gouvernement et l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la
science et la culture (UNESCO).

Vols de bétails

Jusqu’à présent, le Kenya était classé parmi les pays chroniquement arides, avec 17 millions d’habitants qui n’ont pas accès à une source potable. Cette découverte est donc porteuse d’espoir. Pour Zakayo Ekeno, le berger, elle est surtout synonyme de paix. « Nous vivons dans la crainte des voleurs qui dérobent nos animaux pour remplacer ceux qu’ils ont perdu par manque d’eau ou de pâturage. Cette découverte résoudra sans aucun doute ce conflit. »

Mais des experts de l’environnement mettent déjà les communautés
en garde. Selon eux, Nairobi possède peu de capacités et de textes législatifs pour gérer l’or bleu de façon durable. « Les lois actuelles ne fournissent aucun cadre politique important concernant la gestion des eaux souterraines et l’utilisation des terres où elles se trouvent », souligne la scientifique Judith Gicharu.

Au Kenya, toutes les sources appartiennent à l’Etat et les organismes
gouvernementaux doivent approuver et délivrer des permis d’utilisation.
Cependant, selon un rapport publié en 2011 par la Banque mondiale, « il
n’y a aucune prise de conscience stratégique des ministères concernés
sur la nécessité de protéger ces ressources souterraines ».

Selon Ikal Ang’elei, de l’association communautaire les Amis du lac
Turkana, en l’absence d’un cadre législatif solide qui pourrait guider « la
manière dont l’or bleu doit être exploité et qui en bénéficiera, cette découverte ne profitera pas vraiment aux locaux ».

Un précédent pétrolier

« Il est encore trop tôt pour affirmer que les habitants du Turkana sont systématiquement tenus à l’écart des tractations sur l’exploitation de l’or bleu. Mais si le gouvernement parle déjà d’approvisionnement, l’ensemble du pays n’a encore rien dit sur la quantité qui sera attribuée aux habitants du Turkana. »

Une préoccupation d’autant plus vive que les habitants du Turkana ont
récemment été échaudés. En mars 2012, la société pétrolière britannique
Tullow Oil a annoncé la découverte de plusieurs millions de barils de pétrole dans le bassin de Lokichar, au nordouest du comté.

« Mais les investisseurs se montrent uniquement préoccupés de savoir quand ce pétrole commencera à couler. Ils n’évoquent jamais les avantages pour la communauté. Il est donc difficile d’imaginer qu’il en sera autrement pour l’eau », s’insurge Ikal Ang’elei.

Des craintes partagées par l’économiste Arthur Kimani, qui souhaite
également une sensibilisation des populations locales pour une bonne utilisation de l’eau. « Au-delà du fait de boire, le gouvernement doit leur
montrer que cette ressource peut aussi leur rapporter de l’argent, en l’utilisant par exemple pour des cultures de rente. »

Un procès d’intention que réfute en bloc le gouvernement du président
Uhuru Kenyatta. D’après un responsable du Ministère de l’environnement, des eaux et des ressources naturelles, « les habitants de Turkana auront de l’eau dès le mois d’octobre. Et des discussions sont en cours avec
le secteur privé pour créer des partenariats économiquement viables
pour la communauté. »

Mais la transparence dans la gestion des ressources naturelles est nécessaire sur toute la chaîne d’extraction, rappelle Samuel Kimeu, directeur exécutif de l’organisation Transparency International au Kenya. Car trop souvent les licences d’exploitation ont tendance à rester l’apanage d’un groupe d’entreprises bien connues et proches du pouvoir, « escroquant ainsi les bénéfices financiers des populations locales ».