Propos recueillis par Juan Gasparini/InfoSud - L’ancien juge espagnol Baltasar Garzon semble échapper à l’intense nostalgie des vieilles expériences. Ses gloires de magistrat ont été relégués aux souvenirs, suite aux onze années d’expulsion de la Justice décrétés contre lui dans son pays. Elles ont cédé la place à un travail original en tant qu’avocat – il assure aujourd’hui la défense de Julian Assange, le fondateur de Wikileaks - et à la coopération avec des organisations non gouvernementales (ONG) ainsi que des institutions étatiques. Il était début mars à Genève au Festival du Film et Forum International sur les Droits de l’Homme (FIFDH) pour débattre sur la cyber-surveillance. Interview.

La cyber-surveillance, viole l’article 12 de la Déclaration universelle des droits de l’homme. A votre avis, le respect de la vie privée est-t-il compatible avec la sûreté de l’Etat ?

Baltasar Garzón : Je crois qu’il devrait y avoir un point d’équilibre entre ces deux pôles. La sécurité de l’État est un bien nécessaire pour la société dans la mesure où elle coïncide avec le respect de démocratie pour les citoyens. Évidemment, il ne faut jamais utiliser la sécurité de l’État contre les citoyens. Nous avons eu beaucoup d’exemples tout au long de l’histoire qui montrent que la différence entre la démocratie et un système autoritaire, une dictature, tient sur un fil ténu. Et souvent les valeurs démocratiques peuvent être brisées, même dans des pays qui ont une longue tradition démocratique.

Quel rôle pourrait jouer l’ONU pour fixer le cadre du recours à la cyber-surveillance ? On voit que la plupart des pays qui y ont recours sont tous membres permanents du Conseil de Sécurité de l’ONU. Quelle est donc la marge de manœuvre des Nations unies ?

Si les Nations unies, à travers le Conseil de sécurité ou l’Assemblée générale, avaient une régulation différente, on pourrait arriver à un résultat intéressant. Mais je crains que le droit de veto au Conseil de sécurité va rendre cela difficile puisqu’il y a beaucoup d’intérêts économiques en jeu. Ceci m’amène à plaider pour le changement des normes des Nations unies : depuis sa création, il serait temps que cela se produise. Je crois qu’il est possible de trouver des formules pour limiter l’utilisation d’Internet ou pour intercepter des communications lorsqu’il y aurait logiquement des répercussions illicites.

Ceci pourrait être fait par l’ONU ?

Si les pays membres ratifient les normes et les conventions, qui soient intégrées au droit interne dans chaque pays, bien sûr que oui. Mais chaque pays pourrait le faire de son propre chef en déclarant, par exemple, illégale chacune de ces pratiques.

Edward Snowden vous a-t-il demandé des conseils pour sa défense contre le gouvernement américain ?

Non, il ne m’a pas demandé de conseil. Initialement, il avait été évoqué que j’assume la défense des intérêts de Snowden, mais tous les efforts de mon bureau étaient déjà consacrés à la défense de Julian Assange et de Wikileaks, et j’ai compris que c’était mieux d’avoir des défenses séparées.

À quel titre assurez-vous la défense d’Assange et de Wikileaks et où en est le dossier aujourd’hui ?

J’assume la défense d’Assange probono, c’est-à-dire gratuitement. L’accusation faite contre lui en Suède [le viol de femmes] est de notre point de vue inconsistante. On n’a jamais fui [ou refusé] cette possible responsabilité mais notre position est de rappeler avant tout l’asile en faveur d’Assange, octroyé par l’Équateur. Ce droit fondamental s’impose. Une fois ce droit d’asile satisfait, on pourra aborder le problème de la Suède. L’action partielle de la part des institutions [suédoises] rend très difficile un jugement juste.

Vous avez laissé entendre que, dans le dossier Assange, il y aurait des preuves secrètes qui permettraient de l’innocenter.

Dans la procédure suédoise, logiquement il y a des éléments que nous ne connaissons pas parce que formellement nous n’y avons pas eu accès. Le développement des faits révèlera le manque de consistance de l’accusation.