François Roux/Le Temps - « Il ne peut pas y avoir de Justice Pénale Internationale sans une défense forte » disait le Procureur Richard Golstone.

Et pourtant. Depuis le début des Juridictions Pénales Internationales, la Défense est le parent pauvre de cette justice.

Pourquoi ? Parce que la communauté internationale créée ces juridictions « pour lutter contre l’impunité ». Objectif louable évidemment mais qui entraine comme conséquence que le châtiment des personnes accusées devient la priorité. Alors une défense ? Pour quoi faire ?

Certes il en faut bien une pour que le décor de justice soit parfait, mais de là à lui donner des moyens et du pouvoir…

C’est oublier que devant les deux Tribunaux Internationaux de l’ex-Yougoslavie et du Rwanda, 25 % des personnes mises en accusation ont ensuite été déclarées « non coupables ». Erreurs du Procureur ? Fausses accusations de témoins ? Quoiqu’il en soit c’est parce qu’une défense sérieuse, compétente, efficace malgré les difficultés, a fait son travail, que 25 % d’erreurs judiciaires ont été évitées.

Et ceci rappelle simplement que le rôle premier des Juges n’est pas de lutter contre l’impunité. Ce rôle appartient au Procureur. Les Juges quant à eux sont chargés de rendre la Justice après avoir entendu contradictoirement l’Accusation et la Défense.

« Défendre c’est ne rien accepter comme acquis qui n’ait été passé au crible de la critique » disait Maître Jean Boudot au procès des P.I.P. à Marseille.
Toute l’architecture du procès pénal repose ainsi sur le principe du contradictoire et de l’égalité des armes entre Accusation et Défense, en droit national comme en droit international.

Dès lors on a peine à comprendre pourquoi la Défense a tant de difficultés à exister institutionnellement devant les Juridictions Pénales internationales comme en témoigne encore aujourd’hui le projet de réforme envisagé par le Greffier de la Cour Pénale Internationale.

La création devant cette Cour, d’un Bureau de la Défense indépendant fût à l’époque saluée comme une évolution institutionnelle salutaire, même si pour de curieuses et obscures raisons ce Bureau restait sous la tutelle du Greffier, poursuivant ainsi une structuration instaurée depuis le début de ces juridictions. Tandis que le Bureau du Procureur est depuis toujours un Organe Indépendant, avec son budget propre, ses moyens considérables.

Mais au moins s’agissait-il d’un progrès, d’une reconnaissance institutionnelle de la Défense qui allait amener plus tard, devant le Tribunal Spécial pour le Liban la création enfin, d’un Bureau de la Défense comme quatrième pilier du Tribunal, à équivalence avec le Bureau du Procureur, la Présidence et le Greffe, chacun des responsables étant nommé par le Secrétaire Général des Nations Unies. Même s’il s’agit d’un modèle encore imparfait, la Défense peut enfin faire entendre sa voix, dans et hors le Tribunal Spécial pour le Liban sur toutes les questions qui concernent son exercice professionnel.

Dirigé à la Cour Pénale Internationale par Maître Xavier Jean Keita, le Bureau de la Défense a au cours des années réussi à donner sa place à la Défense dans l’institution, malgré les limites que lui imposait le fait de demeurer sous la tutelle et l’autorité du Greffe et de ne pas disposer d’une voix autonome.

L’assistance, qu’avec peu de moyens, l’équipe de ce Bureau a apportée aux Avocats en charge de la défense des accusés, le suivi des procédures qu’elle a pu réaliser, sont autant d’acquis au service d’une meilleure effectivité des procédures et de procès plus équitables.

L’on rêvait alors que le principe de réalité encouragerait une évolution statutaire de ce Bureau pour en faire là aussi un Organe de la Cour et donner enfin à la Défense, au sein de la Cour, une position institutionnelle égale à celle du Procureur, tout en apportant de nécessaires améliorations structurelles par rapport au modèle du Tribunal Spécial pour le Liban.

Au lieu de cela, dans une volonté louable et nécessaire de réformer la Cour pour la rendre plus performante, le Greffe envisage tout simplement de mettre la Défense à la porte de la CPI, en restructurant en interne le bureau de la défense comme une simple Section du Greffe et en proposant d’organiser pour la profession une association d’avocats, mais externalisée. Fausse bonne idée.

S’il est souhaitable que la profession d’avocat parvienne un jour à s’organiser pour créer, elle-même, un véritable Barreau auprès des juridictions internationales, il reste indispensable que la Défense, en tant que quatrième pilier de la Justice, soit en permanence représentée au sein de la Cour par un Organe propre avec notamment le pouvoir institutionnel, tout comme le Procureur, de conclure des accords de coopération avec les Etats pour tout ce qui concerne l’exercice de la Défense, ou encore d’intervenir auprès de l’Assemblée des Etats Parties. « Que l’Homme est fou, qui s’en va boire à la flaque, et déserte la fontaine au cœur de la maison » dit Angelius Silésius (in le Pellerin Chérubinique), dans un autre domaine certes, mais transposable en l’espèce.

La seule bonne nouvelle c’est que l’institution continue à craindre la Défense au point de souhaiter la mettre dehors. Raison de plus pour que celle-ci revendique toute sa place, qui doit être véritablement à égalité avec le Bureau du Procureur, indépendante comme lui, mais voix de la Défense au sein de la Cour, là où se prennent au quotidien, entre les Chefs d’Organes, les décisions d’organisation et de gestion de cette extraordinaire mais si fragile institution qu’est la Cour Pénale Internationale.

Une Défense forte disait R. Golstone ? Encore faut-il lui en donner les moyens.