Luis Lema/Le Temps, New York - Pour la CIA, c’est une « victoire significative ». A tel point que le directeur de l’agence, Michael Hayden, a envoyé un message vendredi à tous les employés pour s’en féliciter. La CIA, disait-il, a joué un rôle-clé pour localiser Abd al-Hadi al-Iraqi. Présenté comme un proche d’Oussama ben Laden, cet Irakien né à Mossoul aurait passé une quinzaine d’années en Afghanistan. Selon le Pentagone, qui lui aussi se réjouissait de la capture, il serait « l’un des plus hauts responsables d’Al-Qaida et l’un de ses plus anciens membres ». Selon les responsables américains, Al-Iraqi aurait déjà fourni une quantité d’informations importantes sur la hiérarchie et les opérations d’Al-Qaida. Il est soupçonné d’être l’un des maillons forts liant l’organisation terroriste dans son ensemble à ses meurtrières excroissances irakiennes.

Cette arrestation, pourtant, laisse un goût particulièrement amer aux organisations de défense des droits de l’homme. Aussi bien le Pentagone que la CIA sont restés muets sur le lieu de la capture : tout au plus ont-ils nié que cela se soit passé au Pakistan ou en Iran. En revanche, cette arrestation, ont-ils reconnu, remonte à l’automne dernier. En clair : cela ferait au moins cinq mois que l’homme était détenu dans des conditions secrètes, hors de toute juridiction internationale.

Il n’en a pas fallu davantage pour que les défenseurs des droits de l’homme soient placés devant l’évidence : le système des « prisons secrètes de la CIA », qui avaient soulevé il y a quelques mois un torrent international d’indignation, continuerait de fonctionner sous une forme ou une autre.

C’est en septembre dernier que George Bush avait admis publiquement l’existence de ces prisons dont, parmi d’autres, le Suisse Dick Marty avait fait le constat accablant pour le Conseil de l’Europe. A l’époque, peu avant les élections législatives du midterm, le président Bush avait annoncé que 14 détenus, que l’on soupçonnait d’être arrêtés - et torturés - depuis plusieurs années, avaient intégré le centre de Guantanamo. Parmi eux figurait Khaled Cheikh Mohammed, qui a reconnu récemment être l’inspirateur des attentats du 11 septembre 2001.

George Bush avait alors affirmé que ces prisons secrètes étaient vides. Mais, comme le notaient déjà les ONG et le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), il avait pris bien garde de ne pas annoncer la fermeture définitive de ce réseau de détention secret. « Il est possible que cette déclaration du président n’était vraie que dans un sens purement technique, explique-t-on aujourd’hui à l’organisation Human Rights Watch (HRW), très active sur la question. En fait, des personnes continuent d’être détenues dans d’autres pays pour le compte des Etats-Unis. »

Directrice des affaires de terrorisme et de contre-terrorisme au sein de HRW, Joanne Mariner va plus loin : « La détention secrète de Abd al-Hadi al-Iraqi est une violation flagrante du droit international. Son transfert (à Guantanamo) montre que le Congrès va devoir agir pour mettre un terme au programme illégal de détention de la CIA. »

L’automne dernier, George Bush avait affirmé que les interrogatoires menés dans le cadre de ce programme avaient constitué « l’un des efforts les plus couronnés de succès de toute l’histoire des services d’intelligence des Etats-Unis ». Cependant, selon les déclarations des responsables américains, Abd al-Hadi al-Iraqi n’aurait pas été soumis aux méthodes d’interrogatoire de la CIA, mais à celles du Pentagone, davantage soumises au contrôle du Congrès.

Human Rights Watch a présenté il y a peu au président Bush une liste de 38 personnes dont elle est convaincue qu’elles se trouvent toujours placées dans des lieux de détention secrets. Mais la Maison-Blanche n’a fait aucune déclaration à propos de la liste qui contenait le nom, le lieu et la date de chaque arrestation.

Au demeurant, même si ces personnes finissent par réapparaître, comme dans le cas de Al-Iraqi ou, avant lui, de Khaled Cheikh Mohammed, c’est pour être incorporées dans le système de Guantanamo qui, au mieux, ne représente encore qu’une « zone grise » du point de vue du droit. « Si al-Iraqi et d’autres détenus ont commis les crimes dont ils sont accusés, ils devraient être jugés pour actes de terrorisme devant les cours fédérales, dans un système juste et transparent », fait valoir Joanne Mariner.