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Cuba exaspère l’expert

Christine Chanet, expert de l’ONU chargée d’enquêter sur les droits de l’homme à Cuba, n’en peut plus. Elle en est à son 5ème rapport et rien ne bouge sur l’île. La Havane nie en bloc les accusations. La juge française ne voit plus le sens de son mandat.

Juan Gasparini et Carole Vann/Infosud - « Nous sommes dans l’impasse. C’est la 5ème fois que je présente un rapport sur Cuba à la Commission devenue maintenant Conseil des droits de l’homme. Mais rien ne change. Les autorités refusent de coopérer et mon mandat renouvelé ainsi chaque année n’a pas de sens. Cela ne peut pas continuer, mais on ne peut pas non plus abandonner la population à son sort. » La représentante personnelle de la Haut-Commissaire des Nations Unies, Christine Chanet, était excédée mardi durant sa présentation devant les Etats membres du Conseil.

Pour elle, les arrestations, les détentions et les mauvais traitements des dissidents continuent sur l’île. Les prisonniers politiques croupissent toujours dans les geôles cubaines.

La juge française ne relève aucune amélioration depuis la vague de répression sans précédent intervenue en mars-avril 2003 dans le pays. Près de 80 militants avaient été arrêtés et condamnés à de très lourdes peines allant de six à 28 ans de prison. Les poursuites incriminaient la publication d’articles ou d’interviews dans les médias, la communication avec des ONG internationales et des exilés aux Etats-Unis et en Europe ou avec des syndicats, etc. C’est vrai que l’embargo américain entrave l’évolution de l’île, mais ce n’est pas une raison pour s’en prévaloir et continuer à violer les droits de l’homme, conclut en substance Christine Chanet.

Aussitôt, l’ambassadeur cubain Juan Antonio Fernandez s’est fendu d’une tirade digne des plus belles tragédies : « Très bientôt tombera le rideau sur cette farce grotesque ! a-t-il clamé. Les rapports de Madame Chanet n’ont aucune
légitimité. Le Cuba qu’elle présente est issu d’une image médiatique de la désinformation, de celles que l’on fabrique dans les laboratoires de la Maison Blanche. La réalité est autre : un Cuba qui travaille, envoie ses médecins à Caracas, dans l’Himalaya, un Cuba qui porte le drapeau de l’éducation à ceux qui ne savent ni lire ni écrire, un Cuba qui chante ! Madame Chanet aurait encore beaucoup à dire sur notre île, mais elle préfère se taire pour ne pas aller à l’encontre des puissants. Pourquoi ne parle-t-elle pas des territoires illégalement occupés par les Etats Unis sur la base de Guantanamo ? »

Le ping-pong n’est pas nouveau entre la juge française et l’ambassadeur cubain. Mais cette fois-ci, la vraie question a été posée : les rapporteurs par pays vont-ils survivre à la réforme des Nations Unies qui doit être parachevée d’ici le 18 juin ?

L’alliance de certains pays africains, asiatiques, islamiques, avec la Russie et Cuba, qui dominent le Conseil, répondent catégoriquement NON. Ce refus concerne en particulier les experts pour Cuba, le Bélarus, Myanmar et la République démocratique de Corée. Quatre pays qui se sont vu imposer un rapporteur spécial par voie de vote. Or les pays qui constituent cette alliance veulent qu’à l’avenir les rapporteurs par pays ne puissent être nommés que par consensus. Dans un « esprit de compromis », la Chine propose qu’un rapporteur ne puisse être imposé à un pays que si deux tiers des voix du Conseil y sont favorables.

De leur côté, les pays occidentaux et latinos s’opposent à la disparition de ces quatre rapporteurs. Par ailleurs, ils veulent maintenir le statut quo sur la base d’un vote démocratique (50/50).

Mais manifestement, les rapporteurs pour Cuba et le Bélarus semblent voués à disparaître dès la fin de cette session, par le simple fait que les pays en faveur de cette solution ont la majorité au Conseil.

Les dix recommandations de Christine Chanet pour Cuba

1. Cesser les poursuites des militants

2. Libérer les détenus politiques.

3. Réviser les lois qui conduisent à sanctionner pénalement les libertés d’expression, de manifestation, de réunion et d’association.

4. Maintenir sans exception le moratoire institué en 2000 sur la peine de mort, en vue de l’abolition de cette peine.

5. Mettre en oeuvre la réforme de la procédure pénale en conformité avec les droits de l’homme.

6. Instaurer une instance permanente indépendante destinée à recevoir les plaintes des personnes qui se disent victimes de violations de leurs droits fondamentaux.

7. Réviser la réglementation des entrées et sorties du territoire.

8. Autoriser les organisations non gouvernementales d’entrer à Cuba.

9. Permettre le pluralisme des associations, syndicats, organes de presse et de partis politiques sur le territoire.

10. Adhérer au Pacte international relatif aux droits civils et politiques ainsi qu’aux Protocoles facultatifs s’y rapportant et au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.