Vincent Taillefumier/Le Temps, Bogota - Une fois de plus, les paysans de l’Arauca ont dû fuir. Emportant quelques habits, plus de 2000 habitants de cette région du nord-est de la Colombie, frontalière avec le Venezuela, chassés par les assassinats des guérillas marxistes, se sont réfugiés ces dix derniers jours dans les petites villes de la zone.

« Nous attendons encore davantage de déplacés », craignait le week-end passé une fonctionnaire de la mairie d’Arauquita, Melquicedes Mosquera. Dans cette bourgade pauvre, aucune infrastructure ne les attend : « Ceux qui sont déjà arrivés ont dû se faire de la place chez des amis ou des parents. » La promiscuité aurait déjà provoqué des maladies chez les enfants, selon le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), qui a distribué des aides d’urgence. Certains déplacés, rapporte l’organisme, se sont résignés à construire des abris de fortune à l’entrée de la ville voisine de Saravena.

L’exode a commencé le 6 janvier dernier, après un message lapidaire des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) – connues pour leurs prises d’otages. « Vous avez dix jours pour quitter la zone », ont intimé les guérilleros aux familles d’un hameau. Elles ont aussitôt assassiné leur élu et un autre paysan, pour l’exemple. La nouvelle s’est répandue très vite : la guerre entre les FARC et l’Armée de libération nationale (ELN) avait repris.

Dans les années 1980, ces deux guérillas colombiennes ont fait de l’Arauca un bastion commun. Grâce à l’extorsion des entreprises pétrolières, puis aux revenus des champs de coca, base de la cocaïne, les deux groupes ont fait régner leur loi de plomb et installé leurs élus. L’arrivée musclée de l’armée, il y a cinq ans, avec l’aide de milices paramilitaires sanglantes, a réduit leur emprise. Mais elles conservent dans les campagnes, où les Andes viennent mourir sur un tissu de plaines inondables, un réseau serré de collaborateurs et sympathisants civils. Telle association, par exemple, « est avec l’ELN, commente sans rougir la membre d’une autre organisation. Nous, nous sommes avec les FARC. »

Cette cohabitation tendue a pris fin en août 2006, quand un chef des FARC a été assassiné par l’ELN. Depuis, les deux groupes s’affrontent régulièrement, et tuent les soutiens désarmés de l’ancien allié pour les remplacer par leurs sympathisants. « Pour les civils, c’est beaucoup plus sanglant quand les guérillas sont en guerre, explique José Maria Bolivar, qui mène l’action sociale de l’Eglise catholique. Elles savent très bien qui est avec qui. » Le nouvel accès de violence touche un secteur où l’entreprise nord-américaine Occidental Petroleum réalise de prometteuses explorations pétrolières. Chacune des guérillas y verrait une nouvelle source d’extorsion, justifiant leur campagne sanglante.

Douze paysans auraient déjà été assassinés dans la crise actuelle, faisant oublier une accalmie entre octobre et décembre. « La population civile n’a eu que quelques mois de trêve », constate Gloria Cuitiva, défenseuse du peuple (ombudsman) d’Arauca. Elle calcule en revanche qu’il n’y a eu en janvier qu’un seul combat direct entre rébellions.