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Religions d’origine africaine au Brésil : quelle liberté ?

Au Brésil, la liberté religieuse est un principe garanti par la Constitution et par la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. Mais elle est loin d’être respectée, principalement lorsqu’on parle des religions d’origine africaine.

Fabiana Oliveira/Vivafavela - Tout au long de l’histoire du Brésil, les « terreiros » [ndt : les lieux consacrés au culte candomblé, une des religions d’origine africaine les plus pratiquées] ont été victimes de persécution. De la part de la police, de la presse, de l’église catholique, des pouvoirs publics, et maintenant des groupes néo-pentecotises. [ndt : appellation qui regroupe nombre de courants et de sectes d’origine protestante nord-américaine, comme l’église de l’assemblée de Dieu dont l’importance n’a cessé d’augmenter depuis le début des années 70].Menaces, vexations et dénigrement…Même les trafiquants qui contrôlent aujourd’hui les bidonvilles de Rio de Janeiro participent à ces persécutions.

Les expulsions de « Babalorixás » [ndt : ou « Pais-de-Santos », les prêtres de la religion camdomblé] sont de plus en plus communs. Ainsi, João * (nom d’emprunt) a été enlevé il y a quelques années dans son « terreiro » de la Zone Ouest de Rio, par des trafiquants qui considéraient sa présence comme néfaste à leurs activités. João a abandonné derrière lui tout ce qu’il possédait et le résultat de sept années de travail dans la communauté.“Ils sont arrivés dans mon « terreiro », ils m’ont battu et m’ont dit que j’avais 24h pour partir. J’ai pratiquement perdu toutes mes affaires personnelles parce que dans ce que j’ai pu emporter, j’ai donné la priorité à ce qui appartenait au terreiro” ;, raconte, Joao* qui a demandé qu’on préserve son anonymat par peur des représailles. Il vit actuellement dans autre Etat et avoue qu’il n’a plus jamais eu le courage de retourner sur les lieux pour reprendre ce qu’il avait laissé dans la maison d’un voisin. Il évite même, par précaution, de se rendre à Rio de Janeiro.

“Je n’ai même pas eu le courage de mettre en vente le terreiro, mais j’ai quand même réussi à m’en sortir, à recommencer ailleurs. A ma place, beaucoup auraient abandonné. Moi, j’ai confié dans les orixás [ndt : les esprits des divinités du candomblé] et maintenant je vais mieux”.

Les adeptes des religions africaine sont obligés de composer quotidiennement avec des vexations de tout type, dans la rue et au travail. Nelson Silva de Oliveira, professeur d’histoire, qui habite Sao João de Meriti dans la banlieue nord de Rio de Janeiro, pratique le candomblé depuis 12 ans. Il dit être fréquemment l’objet de discriminations.

“Une fois, je discutais de religion avec un groupe d’élèves à la fin d’une leçon. J’ai dit que j’étais candombliste. Une des élèves a eu un geste de recul parce que pour elle, le candomblé c’était quelque chose qui est lié aux gens sans instruction. Une autre fois un collègue m’a raconté qu’une fille aurait été saisie de « pomba-gira » [ndt : un des transes associées au culte de l’umbanda], qu’elle s’était enfermée avec 4 autres élèves dans une salle de classe en disant que son corps était possédé par le démon. Or dans notre religion, il n’y a pas de figure du démon !”

Une démocratie religieuse illusoire

Selon un rapport du Secretariat Spécial du gouvernement pour la Promotion de l’Égalité Ethnique (SEPPIR), 17% des 314 dénonciations reçues entre 2005 et 2007 avaient trait à la discrimination religieuse. Un phénomène beaucoup plus répandu qu’on ne l’imagine, explique le professeur de droit Luiz Fernando Martins Da Silva, ancien auditeur du SEPPIR :

“Il suffit d’allumer la télévision pour voir de quelle façon certains secteurs neo-pentecotistes dénigrent publiquement les religions d’origine africaine. Cela va d’insinuations associant les orixás à des démons susceptibles d’affecter la santé physique et mentale des personnes, d’apporter la pauvreté, d’encourager la criminalité, à l’utilisation de termes discriminatoires pour décrire ces religions. Voilà ce que c’est, notre démocratie religieuse !”.

En novembre 2007, Luiz Fernando Martins Da Silva a dénoncé à la justice un pasteur qui venait de livrer à la police une personne soupçonnée d’avoir provoqué le décès d’un touriste Italien. Il avait alors publiquement prétendu que l’homme avait commis ce crime « après avoir été converti et être possédé par les démons. » Plusieurs journaux avaient alors immédiatement donné des noms à ces prétendus démons : « Zé Pelintra et Exu Caveira », des noms associés aux religions d’origine africaine. L’affaire suit actuellement son cours auprès de la 44ème délégation de police d’Inhaúma.

Luiz : nous ne vivons pas une démocratie religieuse

Mais ces discriminations ne sont pas le seul fait de rivalités entre membres de religions en conflit explique Luiz Fernando Martins Da Silva, “L’Etat aussi pratique la ségrégation, en niant par exemple à ces religions, le droit d’existence. En multipliant les embûches administratives lorsqu’il s’agit de fournir les documents nécessaires à la régularisation juridique des terreiros”.

Comment lutter contre ces préjugés ?

D’après les statistiques officielles, les personnes déclarant pratiquer le candomblé sous ses différentes formes, et l’umbanda seraient 571.329, soit environ 0.34% de la population brésilienne, un nombre considéré comme digne de foi par les chercheurs, étant donné qu’une bonne partie des adeptes de ces religions se déclarent “catholiques” ou “spíritistes” lors des recensements officiels, à cause des préjugés dont ces religions sont chargés. Il est souvent difficile d’afficher son appartenance aux cultes africains, comme en témoigne l’Ialorixá [ndt : « mãe-de-santo » ou prêtresse] Mère Francis de Iemanjá, dont le « terreiro » se situe dans la Zone Nord de Rio :

“J’ai avec moi une « fille de Saint » [ndt : une jeune femme « choisie » par les esprits pour devenir prêtresse et qui suit les rites d’initiaition au sein d’un terreiro] qui travaille dans un collège. Ils ne la laissent pas entrer avec son ojá [ndt : un fichu blanc qui fait partie du cérémonial et que certaines pratiquantes utilisent pour se couvrir la tête]. Une autre, qui vit dans une favela s’est fait insulter et ses vêtement ont été brûlés par des mégots de cigarettes parce qu’elle était habillée de blanc [ndt : la couleur rituelle des officiants des religions africaines]”.

Mère Francis insiste sur le fait que les préjugés commence quand les adeptes sortent du lieu de culte. « Quand nous entrons dans le bus, les gens nous regardent comme si nous étions une apparition. Je trouve qu’il devrait y avoir plus de discussions, surtout avec les enfants et les adolescents dans les écoles, pour expliquer que notre religion est quelque chose de respectable. Nous portons un culte à la nature et aux esprits qui l’habitent. “

André Porto, coordinateur de MIR - Mouvement Inter Religieux de Rio de Janeiro et responsable pour l’Amérique Latine de l’Initiative pour l’Union des Religions, l’URI - Iniciativa das Religiões Unidas - estime lui aussi que beaucoup de ces discriminations sont liées au manque de connaissance que les gens ont de ces cultrs d’origine africaine :

“Pour respecter l’autre, il est important de le connaître. La discrimination vient de l’ignorance. Pour comprendre sa propre essence humaine, il faut d’abord connaître celle des autres. C’est en confrontant les différences qu’on approfondit les racines de sa propre identité”.

Depuis 1992, le MIR mène des actions régulières qui ont pour objectif de promouvoir le dialogue et la coopération entre les différents courants religieux. Actuellement il regroupe des adeptes d’environ 20 religions différentes qui se réunissent tous les seconds mardis du mois dans le but de rapprocher leurs points de vue et d’arriver peut-être un jour à réaliser le rêve de l’Ialorixá Francis de Iemanjá : « Que les préjugés prennent fin et que nous puissions pratiquer nos cultes sans discrimination. »

Adaptation Jean-Jacques Fontaine

Viva Favela, une nouvelle voix de Rio

Viva Favela est un pont entre l’Asphalte et le “Morro” [à Rio, on nomme Asphalte les parties basses de la ville où vivent les gens aisés et “Morro” les collines qui couronnent la cité, où se concentrent les bidonvilles], grâce à une équipe de journalistes, de correspondants communautaires et de photographes. Le travail, encadré par un journaliste francophone, se fait en partenariat avec la population.