Propos recueillis par Claire Doole / InfoSud. Les femmes ont joué un rôle décisif dans la lutte contre l’impunité à travers le monde, comme l’a montré un débat sur ce thème organisé samedi 8 mars à Genève par le Festival international du film sur les droits humains.

Rencontre avec l’une des participantes, l’avocate sud-africaine Yasmin Sooka, ancien membre de la Commission Vérité et Réconciliation en Afrique du Sud et en Sierra Leone.

Quelle est l’ampleur du problème de l’impunité en Afrique du Sud ?

Ce n’est que récemment que le viol et la violence sexuelle ont étés reconnus comme un délit et plus comme un crime d’honneur. Mais plus les femmes s’émancipent, plus les hommes se sentent diminués et réagissent contre elles.

Rien qu’aujourd’hui, nos journaux font état d’une conductrice de taxi agressée sexuellement par un passager parce qu’elle portait une mini-jupe. Selon l’agresseur, « elle ne demandait que cela ». De telles attitudes sont endémiques et nous devons être constamment vigilantes.

Quel rôle a joué la Commission vérité et réconciliation dans la lutte des femmes contre l’impunité ?

La Commission était obsédée par la course au résultat. Mais nous avons réussi à créer un espace où les femmes ont pu rapporter leurs souffrances spécifiquement féminines. Cela dit, beaucoup d’entre elles ont hésité à parler des mauvais traitements infligés par des membres du mouvement de libération, l’ANC, au pouvoir.

Nombre d’entre elles ont également déclaré que témoigner était une épreuve et qu’elles ont été traitées comme des coupables ?

Ce fut en effet une épreuve. La Commission a ouvert une fenêtre, mais elle ne pouvait offrir qu’un soutien limité. Les procès et les commissions sont une boîte de Pandore. Ils ouvrent des plaies impossibles à cicatriser tout de suite.

N’y a t-il pas un danger qu’en cherchant la réconciliation, on minimise les faits ?

J’ai un problème avec le concept de réconciliation. Mon inquiétude est que le terme de réconciliation affaiblisse le processus lancé par la Commission. Il ne s’agit pas d’oublier la responsabilité des auteurs de crimes, mais de veiller que ces violations ne se reproduisent plus. Je préfère parler de la création d’un espace où les anciens ennemis puissent vivre sans crainte.

Le Centre sud-africain d’étude de la violence a dit en 1998, quand la Commission s’est terminée, qu’elle n’avait pas réussi à réconcilier les Blancs et les Noirs. 10 ans après, qu’en est-il ?

Je trouve extraordinaire d’attendre qu’une commission puisse atteindre un tel résultat. C’est un processus. Pour que les vraies transformations politiques et sociales se produisent, vous avez besoin de traiter la question de l’inégalité. En 10 ans, les inégalités entre les races ont augmenté. Les politiques de discrimination positive n’ont profité qu’à un petit nombre de Noirs.

Certaines femmes noires ont accompli de grandes choses. Mais les hommes noirs se plaignent que ce gouvernement n’a rien fait d’autre que d’accorder des droits aux femmes. Résultat : la violence contre les femmes s’est intensifiée.

C’est comme si l’augmentation des lois en faveur de l’égalité entre les sexes engendrait plus de réactions contre les femmes. Ce dont nous avons vraiment besoin, c’est d’un changement de mentalité.

Le FIFDH