Interview de Pamela Taylor / InfoSud - En juin 2006, un rapport publié par Dick Marty pour le compte du Conseil de l’Europe a révélé que 14 Etats européens ont aidé à la mise en détention secrète et illégale de personnes soupçonnées de terrorisme.

Dick Marty attend toujours que la Pologne et la Roumanie répondent aux accusations d’avoir accueilli des prisons de la CIA où des présumés terroristes ont été interrogés.

La plupart des pays européens ont initialement assuré n’avoir en aucune façon contribué à ces opérations secrètes. Comment expliquez-vous ce déni ?

Aucun pays ne reconnaît avoir collaboré. Pour moi, cela prouve que c’était une opération de l’OTAN. Car au sein de l’OTAN il y a des secrets qui doivent être respectés. Seules 2 ou 3 personnes au sein de ces gouvernements étaient au courant. Alors, quand la Pologne dit : « le gouvernement polonais ne sait rien à ce sujet", c’est correct parce que le gouvernement en tant que tel n’est pas au courant, sauf le Président et le ministre de la défense !

Les pays d’Europe orientale ont été particulièrement impliqués dans cette politique ?

C’était le cas lorsque nous avons découvert ce qui se passait en Pologne et en Roumanie quand pour la première fois nous avons appris l’existence du programme « détenus de grande valeur » élaboré peu après le 11 septembre, en collaboration avec l’OTAN et conformément à l’article 5 qui stipule que quand un pays membre est attaqué les autres membres doivent venir à son aide. C’est ainsi que commença la collusion entre des services de renseignement américains et européens.

Et la Suisse a également permis à des avions de la CIA d’atterrir sur son sol.

Effectivement. Mais les Suisses ont dit qu’il s’agissait d’avions du gouvernement des États-Unis et qu’ils avaient donc le droit d’atterrir. Mais la Suisse et les Etats-Unis ont signé des accords selon lesquels ces vols ne doivent pas être utilisés pour des activités illégales ou en violation des droits de l’homme. Et aujourd’hui, nous apprenons que lorsque l’imam égyptien a été enlevé en Italie, il a été transféré à la base aérienne américaine de Rheimstein en Allemagne via la Suisse. C’était aussi une violation.

Comment avez-vous appris l’existence des restitutions extraordinaires ?

Lorsque le Washington Post et Human Rights Watch ont rapporté que la CIA avait détenu des personnes dans des prisons secrètes en Europe de l’Est. J’ai immédiatement décidé de m’impliquer. Car si ces prisons existaient bel et bien dans les Etats membres du Conseil de l’Europe, il s’agissait d’une violation de la Convention européenne des droits de l’homme signée par tous nos États et ratifiée par nos parlements.

Je venais d’être nommé président du Conseil et nous avons décidé qu’il s’agissait d’un sujet important et délicat. J’ai fait mon premier rapport en 2006 et un autre en 2007. A chaque fois, la majorité au sein du Conseil a approuvé mes conclusions. En janvier de cette année, j’ai fait un troisième rapport sur la "liste noire".

De quoi s’agit-il exactement ?

Seuls des musulmans sont sur cette liste. Il s’agit d’une liste du Conseil de sécurité des Nations unies sur laquelle figurent des individus ou des organisations soupçonnés de soutenir le terrorisme. Les Etats fournissent des noms, même sans preuve.

Si vous apparaissez sur cette liste noire, tous vos biens sont confisqués et vous ne pouvez pas passer la frontière. Un homme, je le sais, un musulman pieux et de grande culture est sur cette liste. C’est un Egyptien qui a vécu en Suisse pendant 30 ans. Il a été accusé par les États-Unis d’avoir aidé à financer les attentats du 11 septembre et le mouvement palestinien Hamas. Après trois ans d’enquête, le procureur suisse a clos le dossier en déclarant n’avoir trouvé aucune preuve. Pourtant, cet homme est toujours sur la "liste noire". Et ce depuis 6 ans !

Comment avez-vous démarré votre enquête, alors que vous n’aviez que les éléments fournis par des journalistes et des ONG ?

J’ai fait mes premières investigations avec l’aide d’un excellent jeune Écossais. Mais j’ai rapidement réalisé que c’était une mission impossible. Car je n’avais pas le pouvoir que j’avais quand j’étais procureur.

J’ai donc commencé à interroger divers gouvernements qui n’ont soit pas répondu du tout ou bien ont menti. J’ai ensuite essayé une autre voie. J’ai demandé au Conseil de m’autoriser à parler à des dénonciateurs américains ou autres et de me donner le droit de leur garantir l’anonymat si elles risquent leur carrière, voire leur vie en parlant de moi.

Avec mon jeune collaborateur, nous avons fait une recherche systématique des carnets de vol des avions avec l’aide des "plane spotters", ces particuliers qui passent leur temps à photographier les avions sur les aéroports.

Nous avons aussi reçu les témoignages de dénonciateurs des deux côtés de l’Atlantique, de la CIA et d’autres agences du renseignement en désaccord avec cette politique de restitution extraordinaire. Ils ont accepté de nous parler pour des raisons de conscience. Ils m’ont déclaré : « Nous sommes des agents de renseignement, non des tortionnaires. »