Carole Vann/Tribune des droits de l’homme - Les défenseurs des libertés sont venus en force du Bahreïn pour assister à la grande première sur les droits de l’homme à l’ONU. Les représentants de 7 ONG nationales étaient invitées à Genève par la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) à assister à l’Examen périodique universel (UPR) dont leur pays est le premier à passer en revue. Mais quel ne fut pas leur choc quand ils ont appris qu’ils devaient avoir l’autorisation de leur gouvernement pour s’entretenir avec les 3 personnes chargées par le Conseil des droits de l’homme de piloter l’examen. Interview de Nabil Rajab, vice-président du Centre pour les droits de l’homme de Bahreïn.

Quelles sont les principales atteintes aux droits de l’homme chez vous ?

Les discriminations religieuses. Notre population est composée de 70% de chiites contre 30% de sunnites. Ces derniers tiennent les rennes du pouvoir. Il n’y pas plus de 3% de chiites dans l’armée et la police. Le Bahreïn est le seul pays du Golfe où la majorité est chiite. Mais la famille régnante, sunnite, vient d’Arabie saoudite.

Le gouvernement importe donc massivement des sunnites de Syrie, de Jordanie, du Yémen, du Pakistan, d’Irak. Il y a des naturalisations en masse et les chiites sont marginalisés.

Notre pays a ratifié la plupart des traités internationaux. Mais les violations restent nombreuses : interdiction de se réunir ou arrestations arbitraires sous prétexte de guerre contre le terrorisme. Il suffit d’émettre une critique contre le gouvernement ou le roi pour être arrêté au nom de la lutte contre le terrorisme. Les libertés de la presse et d’expression sont aussi réprimées. En 2007, vingt six journalistes ont été arrêtés, et 500 sites internet bloqués.

Vos organisations sont-elles reconnues dans le pays ?

La plupart de nos ONG sont soit interdites ou ont été fermées. Mon ONG, par exemple, a été fermée et son site internet bloqué depuis 2004. Cela parce que notre président a osé critiquer le Premier ministre qui est au pouvoir depuis trente ans.

Les pays du Golfe sont souvent épinglés pour les abus à l’encontre des travailleurs migrants et les domestiques dans les familles.

Le rapporteur spécial de l’ONU sur le trafic des être humains, Sigma Huda, a émis un rapport cinglant sur notre pays en 2007. Il n’y pas de lois pour défendre les migrants et les domestiques. Tous les abus sont donc permis.

Quelle importance revêt ce nouvel Examen périodique universel (UPR) pour vous et votre pays ?

C’est capital. Pour notre gouvernement, c’est une occasion rêvée de redorer son image aux yeux du monde entier. Il sait qu’une des questions incontournables va porter sur les discriminations religieuses. C’est pourquoi il y aura plusieurs chiites parmi les 27 membres de la délégation présente. Parmi eux, le ministre d’Etat chargé des affaires étrangères, Nizar Al Baharna.

Pour nous, cet examen est aussi capital. Cela devrait nous permettre de faire le bilan devant la communauté internationale de toutes les violations chez nous. Mais avant même que cette procédure ne commence, nous sommes déjà confrontés à ses limites.

Vous avez en effet pu donner votre version des faits dans des rapports qui ont été transmis au Conseil des droits de l’homme. Mais vous ne savez pas si ces rapports ont été pris en compte dans l’évaluation du Bahreïn. Et surtout, vous n’avez pas eu l’autorisation de rencontrer les délégations de la troïka (Slovénie, Grande-Bretagne, Sri Lanka) chargées d’examiner votre pays. Pouvez-vous raconter ce qui s’est passé ?

Nous avons eu un choc vendredi dernier. Quand nous avons voulu nous entretenir avec ces trois pays, le bureau du président du Conseil des droits de l’homme, M. Costea, nous a dit que nous devions avoir l’autorisation de notre Etat. Lui-même a conseillé aux gouvernements de favoriser ce genre de rencontres entre les ONG et la troïka. Certains pays ont bien voulu jouer le jeu, comme les Philippines ou la Grande-Bretagne.

Concernant le Bahreïn, cela fait des semaines que la FIDH négocie avec notre ambassadeur Abdallah Abdelatif pour obtenir cette autorisation. Mais vendredi, il a refusé net. C’est d’autant plus frustrant et choquant que, dans son rapport, le Bahreïn prétend jouer la transparence avec les ONG. C’est en réalité totalement faux.

Que signifie cet échec ?

C’est un grave retour en arrière. Cela signifie tout simplement que le pays a un droit de veto. Et l’exemple du premier pays à passer cet examen est capital, cela crée un précédent, en l’occurrence un très mauvais début.

Mais comment le gouvernement va pouvoir se justifier si personne ne représente la société civile ?

Nos médias ont annoncé ce week-end que la troïka va rencontrer lundi matin des ONG. En réalité, tout le monde chez nous sait qu’il s’agit de « fausses ONG », acquises au gouvernement. Leurs représentants se nomment Faysal Fulad et Huda Nunu. En 2005, ces mêmes personnes ont été mises à la porte du comité contre la torture à Genève.

La population de votre pays est au courant de cet examen périodique ?

Oui. Tout le monde attend de voir ce qu’il en sort.

Que pensez-vous du nouveau Conseil des droits de l’homme ?

La domination croissante des pays musulmans nous inquiète beaucoup. Quand on pense que ce sont des pays comme l’Egypte, l’Arabie saoudite, le Pakistan, le Bahreïn qui influencent la majorité des membres du Conseil, cela fait très peur. Ils instrumentalisent la religion et s’en servent pour réprimer la liberté d’expression. C’est très grave.

Par ailleurs, le Conseil des droits de l’homme essaie de plus en plus d’exclure le Haut- Commissariat des décisions. Vu du terrain, cela nous inquiète.