Ils en ont assez. Après 21 ans de négociations, les représentants des peuples autochtones exigent du Conseil des droits de l’homme qu’il approuve cette semaine le projet de déclaration de l’ONU sur leurs droits, coparrainée par une dizaine d’Etats dont la Suisse. Détenteurs originels du sol, parfois menacés d’extinction dans leurs réserves, derniers habitants des forêts primaires, les tribus indigènes ont été conviées au début des années 80 par les Nations unies à discuter de leurs droits avec les Etats, dans le cadre d’un groupe de travail de l’ex-Commission des droits de l’homme présidée par le Pérou.

Les Indiens du continent américain se sont mobilisés. L’Afrique et l’Asie sont demeurées en retrait. Les batailles entre gouvernements et organisations non gouvernementales ont été épiques. Mais le document a fini par voir le jour. Son rapporteur, le diplomate péruvien Luis-Enrique Chavez, exige aujourd’hui des actes.

« Vous touchez au portefeuille »

En soi, cette revendication est plus que normale. Fruit de plus de vingt ans de travaux, le projet de déclaration sur les peuples autochtones peut se prévaloir d’une ancienneté bien plus grande que le projet de convention sur les disparitions forcées, négocié en trois ans à l’initiative de la France, qui fait le forcing pour son adoption. Mais le dossier est explosif pour le Conseil des droits de l’homme, dont la première session s’achève le 30 juin.

Même s’il n’a pas la force d’une convention - les Etats n’auront pas à la ratifier -, le projet de déclaration de l’ONU sur les droits des peuples autochtones prévoit d’accorder à ces derniers le principe d’un droit de regard sur l’exploitation des ressources de leurs territoires. Et une juste quote-part sur les revenus qui en sont issus. « Pétrole, minerais, gaz, bois... Vous touchez au portefeuille », souligne un diplomate.

L’examen du document de 80 pages est prévu mardi. Or ses partisans craignent une manœuvre in extremis de la part d’Etats hostiles : Australie, Canada, Nouvelle-Zélande, Etats-Unis et Russie. Tous des pays en butte aux revendications de leurs minorités ethniques.

Un scénario catastrophe

Membre du Conseil, le Canada serait selon de bonnes sources le maillon faible. Le gouvernement d’Ottawa pourrait demander un ultime délai. Avec promesse d’en rediscuter en septembre lors de la prochaine session du Conseil.

Un scénario catastrophe contre lequel comptent s’élever ce lundi plusieurs représentants des peuples autochtones lors d’une conférence de presse au Palais des Nations : « Je ne peux imaginer que les 47 pays membres du Conseil acceptent le texte sur les disparitions forcées et mettent le nôtre de côté », assène un chef indien cherokee, venu des Etats-Unis.

Plusieurs points saillants du projet de déclaration dont Le Temps a pris connaissance ont, il est vrai, de quoi inquiéter certains Etats. Son article 3 reconnaît le droit des minorités autochtones à « l’autonomie interne », du type de celle dont jouit par exemple la Catalogne en Espagne. Son article 5 affirme le droit de ces minorités « à développer leur identité distincte ».

Son article 10 évoque « la démilitarisation » de leurs territoires. Des termes assurés d’alimenter une jurisprudence problématique, même si de multiples garde-fous figurent dans le document présenté au Conseil.

Le président mexicain du Conseil, l’ambassadeur Luis Alfonso De Alba, va devoir choisir. Officiellement, son cœur balance pour le texte. Mais en coulisses, le diplomate qu’il est ne peut pas passer outre aux risques de fracture susceptibles de résulter d’une mise au vote, vu qu’une adoption par consensus paraît improbable. L’Argentine et le Chili militent eux pour la Convention sur les disparitions forcées.

Quant au Pérou et aux coparrains de la déclaration, ils ont l’intention d’exiger un vote des 47 pays membres du Conseil. Surtout si le texte sur les disparitions forcées est transmis à l’assemblée générale pour adoption.