Monde

Rien à manger... je me plaindrai à l’ONU !

Aller à l’école, être soigné, avoir à manger ou un travail décent... Demain, un citoyen pourra se plaindre à l’ONU si son pays ne lui assure pas ce minimum vital. A condition que les Etats acceptent un protocole complétant les droits économiques, sociaux et culturels.

Un village perdu dans les montagnes, pas d’école pour les enfants. Un vieux monsieur sans le sou est très malade ; l’hôpital refuse de le soigner. Ou encore : les travailleurs d’une entreprise privée veulent faire un débrayage mais la loi du pays interdit les grèves. De nos jours, ces situations relèvent de la compétence des Etats. Mais dans l’avenir, ces personnes lésées pourraient recourir, individuellement ou en groupe, à l’ONU si elles n’obtiennent pas gain de cause chez elles. Pour cela, les Etats doivent élaborer et adopter un protocole facultatif au pacte des droits économiques, sociaux et culturels.

Une résolution présentée par le Portugal doit être votée jeudi par le Conseil des droits de l’homme. Un groupe de travail sera alors chargé de plancher sur la question.

Il faudra plusieurs années pour aboutir à un texte. Mais le protocole traitera aussi de la responsabilité des pays lors des grandes catastrophes comme les famines ou sécheresses. Pour l’instant, la majorité des pays latinos et africains, ainsi que quelques européens - Portugal, Finlande, Espagne, France, Slovénie - soutiennent le projet. Tandis que les Etats Unis, le Canada, l’Australie, le Japon se montrent farouchement opposés.

Interview de l’Argentin Christian Courtis, de la Commission internationale des juristes et l’une des chevilles ouvrières du projet.

Ce sont surtout des pays développés qui se montrent réticents.

Ils considèrent que ces droits économiques, sociaux et culturels, par leur nature même, relèvent plus de la politique publique (santé, éducation, culture) que du droit individuel. Et ils ne veulent pas d’interférence de l’ONU dans des décisions politiques prises démocratiquement. En plus, ils redoutent les conséquences budgétaires.

Ca peut se comprendre

On pourrait utiliser les mêmes arguments pour toutes les violations des droits de l’homme. L’acceptation même de ces droits implique une limite à la souveraineté de l’Etat. Nous en avons un exemple récent avec les Etats-Unis : la sécurité des citoyens ne justifie pas qu’on utilise n’importe quel moyen.

Les pays d’Afrique appuient ce protocole. Quel intérêt pour un pays pauvre de permettre à ses citoyens de porter plainte contre son Etat ?

En fait, ce projet permet aux pays pauvres de discuter, dans un autre contexte, les rapports asymétriques Nord-Sud. Le groupe africain propose l’idée d’une aide internationale s’il apparaît clairement qu’un pays manque de ressources pour assurer ces droits, comme l’alimentation ou la santé.

Cela n’enfoncera-t-il pas davantage certains pays dans la dépendance ?

L’idée est de distinguer entre manque de volonté et manque de possibilité : entre un Etat qui fait tout ce qu’il peut mais n’y arrive pas, et un Etat qui se donne d’autres priorités, comme les achats d’armes par exemple.

Mais les Etats de droit ont-ils besoin d’un tel protocole ?

Il y a encore beaucoup à faire même dans les Etats de droit. Il y a quelques années, le Comité des droits de l’homme a saisi l’Espagne pour plusieurs affaires de recours non aboutis et a statué que la législation du pays n’était pas conforme au pacte des droits civils et politiques. L’Espagne a été invitée à modifier sa loi nationale pour qu’elle soit conforme au pacte. Elle l’a fait.

On imagine mal un pauvre malade dans un coin reculé porter plainte à l’ONU...

Il ne faut pas trop surestimer les mécanismes internationaux. Le plaignant doit d’abord avoir épuisé les recours nationaux. Cela prend effectivement du temps. Une plainte individuelle à l’ONU sert plutôt d’exemple ou de jurisprudence, comme un avertissement à l’Etat concerné.

Demain, l’accès à internet sera un droit fondamental ?

Quels sont les droits humains qui identifient la dignité de l’homme ? La réponse varie avec les époques. « Les droits de l’homme sont comme une onde en mouvance perpétuelle. Leur concept a énormément évolué en 60 ans », explique Christian Courtis. Traditionnellement, on considérait que les droits civils et politiques - torture, disparitions - étaient plus fondamentaux et ne coûtaient rien. Tandis que les droits économiques, sociaux et culturels auraient été « plus luxueux ».

Mais ces dernières 20 années, cette division disparaît et l’aspect social et culturel prend plus d’importance. « Tout d’abord, on s’est rendu compte que faire respecter les droits civils et politiques, cela coûtait aussi. Quand on porte plainte pour un cas de torture, il y a des conséquences budgétaires, car il faut des réparations aux victimes et des mesures pour modifier la loi », poursuit l’Argentin.

« D’autres revendications pourraient surgir à l’avenir. Le Conseil pourrait décider un jour que l’accès à internet est un droit fondamental. Dans ce domaine, les choses ne sont pas définies pour l’éternité. »