Quoi de plus angoissant et difficile pour un journaliste que de se rendre dans un pays en guerre sans rien y connaître et sans contacts. Désormais, cette tâche devrait être facilitée grâce à l’apparition d’une série de guides spécialisés sur les zones de conflits. Le premier volume du Essential Field Guides to humanitarian and conflict zones est consacré à l’Afghanistan et vient de paraître, en anglais pour le moment, dans les librairies d’Europe et des Etats-Unis. En Suisse romande, on le trouve chez Artou pour 30 francs suisses.

« Il s’agit de permettre aux reporters de partir avec le bouquin dans leur serviette et de le lire dans l’avion. Ils y trouvent, entre autres, des articles de fond ainsi qu’une liste de contacts et de points de chute sur place : organisations non gouvernementales (ONG), agences onusiennes, missions diplomatiques, instituts de recherche, médias... », explique Edward Girardet, journaliste spécialiste de l’Afghanistan et directeur de publication du guide. « Mais le livre constitue aussi un précieux outil de travail pour les journalistes basés dans les rédactions en Occident, ajoute-t-il. C’est un point de départ pour d’autres sources d’informations ». Adressé aussi bien à des connaisseurs qu’à des non-initiés, le guide renferme, en effet, une véritable mine d’or de renseignements et explore quantité de pistes pour des reportages inédits.

L’ouvrage, de 523 pages, est conçu à la manière de n’importe quel guide touristique ou culturel, à la différence près qu’il n’est pas question ici de ruines antiques mais des dégâts d’une guerre qui sévit depuis deux décennies et de l’assistance humanitaire qui y est déployée. On y trouve, tout d’abord, une douzaine de thèmes essentiels à la compréhension du conflit. Ceux-ci sont rédigés par des journalistes et des chercheurs spécialistes de la zone. Cette longue introduction d’une centaine de pages brosse un tableau assez exhaustif des réalités historique, politique, sociale à la lumière des déchirements internes. « Tous les sujets sont placés dans le contexte de ces vingt dernières années, précise Edward Girardet. Car, même si les événements changent, les acteurs et les problèmes de fond restent les mêmes ».

Selon lui, ce constat vaut aussi pour la période actuelle avec la main-mise des Talibans. « En réalité, l’Islam tel qu’il est pratiqué dans une grande partie de l’Afghanistan est très tolérant, poursuit-il. Et les Talibans ne sont pas tous des intégristes. D’ailleurs, l’islam qu’ils imposent est une pure importation. On le comprend bien en lisant l’article sur les racines des Talibans. Mais l’Afghan est une personne fondamentalement pragmatique et donc capable de changer de chapeau plusieurs fois pour des raisons pratiques. Il est incontrollable, ce qui déroute les interlocuteurs extérieurs et les rend furieux ». A la lecture de la publication, différents clichés, souvent véhiculés par les médias, se teintent de nuances. On y apprend, par exemple, que, si les Talibans ont imposé d’importantes restrictions dans le domaine de la santé des femmes en ville, ces coutumes existaient déjà dans la plupart des zones rurales, où un médecin de sexe masculin n’a jamais pu examiner une patiente.

A l’origine de cette série, un groupe de journalistes et de professionnels de l’humanitaire, ainsi que des juristes spécialisés dans les questions de droits de l’homme ont décidé de mettre en commun leur expérience pour fournir aux médias des informations aussi complètes que possible sur des zones de conflits et sur la qualité de l’intervention des organisations humanitaires sur le terrain. Pour cela, ils ont fondé à Versoix (Genève) le Centre International d’Informations sur l’Humanitaire (ICHR). Rien que l’Afghanistan accueillait plus de quatre cent organisations non gouvernementales . Le guide les répertorie, mais relève aussi les contradictions et les incompétences de certaines d’entre elles. Il rappelle, par exemple, le rôle ambivalent joué par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) dans cette guerre. En effet, l’OMS s’est rangé successivement du côté de chaque gouvernement au pouvoir sans se positionner.

Car, Edward Girardet l’affirme dès les premières pages du livre, il n’y a rien de plus dangereux et préjudiciable pour un pays que ces délégués d’ONGs qui, sous prétexte de neutralité, considèrent superflu de s’informer sur les troubles qui déchirent le pays dans lequel ils se rendent. « Ce genre de livres devrait être remis à n’importe quel infirmier ou délégué qui part sur le terrain afin qu’il sache où il met les pieds. Prétendre ne rien vouloir connaître sur la politique est une attitude irresponsable », clame-t-il. Outre les journalistes et les professionnels de l’humanitaire, beaucoup de diplomates, d’universitaires ou encore des hommes d’affaires ont manifesté leur intérêt à la publication de ce premier guide. Les prochains à paraître traiteront de l’Afrique des grands lacs, mais aussi de thèmes incontournables tels que le sida ou la drogue.

Carole Vann / InfoSud