Lors du sommet mondial de l’alimentation en 1996, les gouvernements s’étaient engagés à réduire de moitié la faim dans le monde d’ici 2015. Le but est loin d’être atteint. Selon beaucoup d’organisations non gouvernementales, la recherche privée est largement responsable de cet échec. En Suisse, en prévision de la Journée mondiale de l’alimentation du 16 octobre, Swissaid et la Déclaration de Berne ont organisé vendredi un colloque où des scientifiques et des paysans des quatre continents sont venus démontrer les avantages indéniables d’une agriculture durable pour la sécurité alimentaire. Parmi eux, une agricultrice neuchâteloise, Danielle Rouiller, dirige un domaine de 70 hectares (50 en zone de cultures et 20 de pâturages de montagne, tout du bio). Interview.

Comment êtes-vous arrivée à l’agriculture biologique ?
Jamais je n’avais pensé, en sortant de mes études d’agronomie, que je serais un jour agricultrice à mon compte. Je ne m’étais donc jamais posée la question aussi clairement.
Mais lorsque j’ai repris le domaine dans lequel mon père avait travaillé, il m’a paru évident que je ne pouvais travailler autrement que de manière biologique. Je ne pouvais envisager de travailler avec la nature sans rester en accord avec elle. Mais la démarche était aussi politique et économique. Quand j’étais encore aux études, je me souviens être tombée sur un article de La Liberté où des organisations de paysans et de consommateurs africains demandaient qu’on arrête les aides alimentaires de l’extérieur parce que ça détruisait leur marché intérieur. Cela m’avait percutée. Car notre surproduction envoyée comme aide alimentaire à des populations en difficulté vise surtout à alléger notre marché intérieur sans se soucier des conséquences sur leurs propres marchés.

Avez-vous eu à subir des nuisances de l’agriculture conventionnelle ?
Pour le moment nous n’avons pas eu de problème. Par contre, le jour où les semences OGMs seront à disposition, je ne vois pas comment nous pourrions continuer de pratiquer l’agriculture biologique si les voisins font pousser des plantes OGMs. La contamination par le vent et les insectes sera inévitable.

Quel marché représente le bio en Suisse ?
En 2000, 784 millions de francs suisses ont été dépensés par les consommateurs pour les produits bio. Les fermes biologiques constituent 8 à 9 % des fermes suisses. Nous avons fondé une association, Bio-Suisse, qui établit un cahier des charges régissant la production, la transformation, la commercialisation. Le fait d’être unis nous met en position de force pour négocier.

Quels liens entretenez-vous avec vos consommateurs ?
Dans les années 70-80, toute la production biologique était commercialisée par la vente directe. Les producteurs ont ainsi évolué en tenant compte du point de vue des acheteurs. Ceux-ci savent que ce qu’ils achètent chez nous est sans intrant chimique. Alors qu’ils ignorent quel type d’engrais, et en quelle quantité, sont employés dans l’agriculture conventionnelle. Mais, petit à petit, le contact entre l’agriculteur biologique et le consommateur diminue. Car les grandes surfaces ont commencé à vendre du bio, ce qui a permis une démocratisation de ces produits. Le côté dommage, c’est que cela éloigne le producteur du consommateur.

Comment réagissent les autres agriculteurs ?
Depuis fin 1999, on entend toujours plus parler du bio dans le monde agricole. A chaque assemblée, à chaque conférence le bio est mentionné. Rares sont les agriculteurs qui s’en moquent encore. Mais le bio fait peur. Beaucoup d’agriculteurs attendent de voir l’évolution de notre domaine agricole pour se prononcer.

Comment considérez-vous le génie génétique ?
Rien de positif. En modifiant des semences génétiquement, on risque de perdre les caractéristiques qui leur permet de s’adapter au milieu. En plus, on ne maîtrise pas ces recherches. Les chercheurs travaillent en général pour des firmes qui transforment le génétique à leurs avantages. Je trouve scandaleux, par exemple, qu’on crée des semences stériles obligeant les paysans à en racheter chaque année. Cela dit, je ne saurais pas quelle réponse donner aux Chinois qui se lancent dans les OGM pour nourrir leur population. Mais, en Suisse, cela n’a pas lieu d’être.

Propos recueillis par Carole Vann / InfoSud