Ni l’Organisation internationale de la francophonie ni le Gouvernement libanais ne veulent endosser la responsabilité de la décision. Pourtant, l’évidence s’impose : le neuvième Sommet de la francophonie, qui devait se tenir à Beyrouth du 26 au 28 octobre, sera reporté. Cela s’inscrit dans la vague générale des annulations de tou-tes les grandes conférences depuis les attentats du 11 septembre. L’ONU, le Com-monwealth et la Banque Mondiale ont aussi reporté des réunions prévues fin sep-tembre.

« Trente chefs d’Etat (réd. dont le président de la Confédération Moritz Leuenberger) avaient confirmé leur venue, indique Nicole Mashnouk, responsable libanaise de la communication pour le sommet. Personne ne s’est officiellement désisté. Mais l’ambiance est à la peur. Ces chefs d’Etat ne veulent pas se retrouver tous sur un même lieu. C’est l’annulation d’un congrès scientifique à très haut niveau organisé par l’Agence, dont les participants se sont décommandés, qui a sonné l’alarme ».

Pour le Liban, l’ajournement du sommet est une épine douloureuse tant du point de vue politique qu’économique. « Ce sommet aurait permis au Liban de reprendre une place dans le concert international après 17 ans de guerre et de marginalisation », explique un homme d’affaires libanais établi en Suisse qui requiert l’anonymat. « C’est le premier pays arabe à accueillir un sommet francophone, précise Xavier Michel, représentant de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) auprès de l’ONU à Genève. Cela permettait au Liban de réaffirmer sa position de carrefour entre Orient et Occident – ce qui est d’autant plus crucial aujourd’hui ».

Pour Nicole Mashnouk, l’attente morale et psychologique de la population libanaise est énorme : « Le Liban refuse prendre la responsabilité d’annuler le sommet, car il ne voit pas pourquoi sa crédibilité est mise en cause. Pour nous, il n’y a pas de rai-sons de reporter cette rencontre ».

Le sommet devait aussi donner un formidable coup de pouce à l’économie catastro-phique du pays. Aujourd’hui, 40% de la population vit en dessous du seuil de pauvre-té et le chômage avoisinerait les 40%. Le Liban est un des pays le plus endettés du monde. 44% du budget national sert au remboursement de la dette – 24 milliards de dollars pour 4 millions d’habitants. En figure de proue de la crise, l’immobilier. Ce secteur a été longtemps le symbole de la reconstruction d’après-guerre dont le prin-cipal promoteur n’était autre que le milliardaire libano-saoudien Rafiq Hariri, devenu premier ministre en 1992. L’homme est à l’origine du projet de reconstruction du cen-tre de Beyrouth et d’un aéroport surdimensionné pour la taille du pays. 18% des lo-gements et 26 % des locaux commerciaux restent vides, selon une étude récente. Résultat : huit à neuf milliards de dollars sont gelés dans ce secteur.

Pour l’instant, Rafic Hariri (revenu au pouvoir l’an dernier) a une priorité : les relations avec l’Union européenne, et l’espoir de conclure un accord de libre échange. L’Europe, premier partenaire commercial du Liban, représente 53% des achats à l’étranger et 33% des importations libanaises. « Beyrouth s’était faite toute belle pour accueillir ce Sommet de la Francophonie. C’était l’occasion de se présenter comme une vitrine attractive pour convaincre les investisseurs étrangers de faire le pas, af-firme l’homme d’affaires libanais. Le pays a créé des infrastructures importantes : les routes et les lignes électriques ont été refaits, on a construit un pavillon d’honneur à l’aéroport, ainsi qu’une salle d’audience inaugurale. L’impact est catastrophique pour les hôtels, les restaurants, les agences de voyage, les sites touristiques, les taxis ! »

Un tableau que nuance Nicole Mashnouk. « L’investissement dans les infrastructures n’est pas une perte, précise-t-elle. C’est vrai qu’on aurait pu continuer à rouler sur des routes trouées. Mais, un jour ou l’autre, il fallait bien les réparer. Le pavillon d’honneur de l’aéroport et la salle d’audience vont servir à d’autres consomma-teurs ». Le coût d’un tel sommet se situe entre dix et douze millions de dollars. L’Agence prenait en charge 3’000 à 3’500 personnes pour 3 à 8 jours. « Mais les res-taurateurs et les hôteliers en auraient beaucoup plus, précise la responsable liba-naise. Certaines délégations viennent avec 100 à 150 personnes ».

InfoSud / Carole Vann