Jusqu’à ces derniers jours, le système judiciaire de l’Arabie saoudite – l’un des pires du monde - restait intouchable. A l’occasion de la Commission des droits de l’homme qui se déroule à Genève, Amnesty International publie un rapport explosif sur la situation des droits de l’homme dans le royaume. Principale dénonciation : le secret le plus total qui entoure les arrestations, les tortures et les conditions de détention. « Le secret permet au pays d’agir en toute impunité et d’infliger aux gens des souffrances terribles et sans fin », explique Mervat Rishmawi, chercheuse au programme du Moyen Orient et d’Afrique au secrétariat d’Amnesty à Londres.

« …Ne vous faites pas de souci pour mon problème, tout va s’arranger avec le temps et si Dieu le veut, je serai bientôt à vos côtés (…). J’ai demandé au messager auquel j’ai confié cette lettre de me trouver une maison à Damas et de prendre une ligne téléphonique et une boîte postale à mon nom. Faites lui parvenir la somme dont il a besoin… ». Juste après avoir écrit cette lettre, Abdul Karim al Naqshabandi était décapité. Ni lui, ni sa famille, ni apparemment l’ambassade de Syrie ne savaient qu’il était condamné à mort. « La plupart du temps, la personne ignore pourquoi elle est détenue, précise Mervat Rishmawi. C’est le tunnel noir durant toute la procédure et le détenu ne sait même pas qu’il a été condamné. Les aveux lui sont extirpés sous la torture. S’il renie sa confession au tribunal, le juge le renvoie illico à la police et les interrogatoires reprennent de plus belle. Pour les étrangers, c’est encore pire : ils signent un papier en arabe, sans même savoir qu’il s’agit d’une confession ».

Depuis plus de quinze ans, Amnesty récolte les témoignages sur les « tortures institutionnalisées » dans le royaume. Jamais l’Arabie Saoudite n’a répondu aux lettres de cette organisation. A ce mutisme s’ajoute le silence de la communauté internationale, liée par les pétrodollars à Ryad. Le cas de l’Arabie saoudite était d’ailleurs examiné à la Commission des droits de l’homme dans le cadre de la procédure 1503, qui se déroule à huis clos. L’an dernier, les Etats membres de l’ONU ont décidé que l’Arabie saoudite « avait répondu de manière satisfaisante aux communications précises qui lui avaient été adressées ». Le pays ne figure donc pas sur l’agenda de la Commission.

Mais le vent tourne. Le 24 mars, l’Union européenne demandait au royaume de recevoir des rapporteurs spéciaux. Avant-hier soir, Ryad acceptait, tout en rejetant les accusations et en vantant leurs « énormes progrès » en la matière. La victoire est sans précédent pour les défenseurs des droits de l’homme. « Un premier pas, tempère Mervat Rishmawi. Mais voulons entrer dans le pays pour suivre le procès de Hani al-Sayegh, un Saoudien qui a été renvoyé chez lui par les Etats-Unis alors qu’il demandait l’asile politique. Il risque la peine capitale. Ce cas montre la responsabilité de la communauté internationale ».

Carole Vann / InfoSud