Une double carcasse de béton armé domine de 50 mètres la principale avenue du centre de Rangoon, défigurant le site historique de la pagode Sule. Cette hideuse verrue laissée à l’abandon aurait dû devenir un hôtel de la chaîne Sofitel. Mais les travaux, censés être me-nés par Eiffage international, une société présidée par Michel Roussin, ont cessé depuis 3 ans, sans raison. Ni Eiffage, ni Roussin qui la présidait, ni Accor (propriétaire de Sofitel) n’ont jamais fourni la moindre explication sur leurs étranges mésaventures birmanes.

Or à Rangoon, le personnel en poste à l’ambassade de France n’en fait pas mystère : la plus visible des opérations de blanchiment en Birmanie – la fameuse carcasse - a pignon sur rue dans la capitale. Et tout le monde sait qu’elle est l’oeuvre de Eiffage et que Michel Roussin s’y est personnellement consacré, effectuant plusieurs séjours prolongés en Birmanie.

Car rien ne justifiait que l’on fasse appel à une firme européenne pour conduire ce type de chantier ; ses coûts étant sans commune mesure avec ceux des entreprises locales. Accor s’est toujours refusé à indiquer l’identité de son partenaire dans cette opération, se bornant à affirmer que le groupe ne participe en rien à l’investissement.

En Birmanie, la quasi-totalité des hôtels de luxe sont considérés comme de pures opérations de blanchiment d’argent de la drogue. L’un des plus prestigieux, le Trader’s, affilié à la chaine Shangri-La, a pour partenaire birman la famille Lo, dont le chef, Lo Sing Harn, est désormais le plus puissant seigneur de l’opium du Triangle d’or et le protégé de plusieurs généraux au pouvoir à Rangoon. “ Boycottez l’Heroine Hotel ” était d’ailleurs le slogan de la campagne menée, avec succès, aux Etats Unis en 1997 par la Free Burma Coalition pour contraindre une compagnie aérienne américaine à cesser de promouvoir le Trader’s.

Construire un hôtel de luxe en Birmanie permet de faire rentrer dans le circuit "légal" 20 à 50 millions de dollars - le coût affiché de la construction. La mise en fonction permet ensuite de blanchir dans la durée des fonds d’origine inavouable, peu importe que l’hôtel reçoive ou non des clients.

Depuis le lancement en fanfare, en 1996, de l’année du tourisme en Birmanie, les hôtels ne sont jamais parvenus à dépasser un taux d’occupation de 10%. Or un banquier français ayant séjourné à Rangoon assure que le futur propriétaire d’un hôtel est autorisé à alimenter ses comptes bancaires dès la demande de permis de construire, comme si une riche clien-tèle étrangère y affluait...sur plans !

Michel Roussin doit expliquer son itinéraire : soupçonné d’avoir facilité l’obtention de mar-chés publics en région parisienne, il se retrouve aux commandes de la construction d’un hô-tel virtuel à Rangoon. A qui étaient facturées les prestations d’Eiffage en Birmanie ? Quels sont les vrais bénéficiaires de cette opération ? Un parti politique français aurait-il reçu des fonds provenant des exportations d’heroïne birmane ? Les juges parisiens retrouveront-ils la trace de l’argent provenant de cette opération ?

InfoSud/Francis Christophe

* Des informations détaillées sur les affaires de blanchiment français du narco-trafic birman ont été publiées par l’auteur de cet article dans Birmanie, la dictatutre du pavot, éd. Philippe Picquier, 1998 et Total entre marée noire et blanchiment, Golias, 2000. Francis Christophe a été chargé des questions birmanes à l’Observatoire géopolitique des drogues à Paris