La Tunisie soigne méticuleusement son image auprès des milieux d’affaires suisses. Preuve incontournable, le supplément du quotidien financier AGEFI du 11 octobre 1999 qui chante les louanges d’un pays où « s’instaure un état de droit ainsi que la notion de démocratie ». Certes, la visite qui se termine aujourd’hui de Joseph Deiss, chef du département des affaires étrangères (DFAE), n’est pas qu’altruiste. Pour la Suisse, qui a absolument besoin de nouveaux marchés, la Tunisie est une porte d’entrée royale dans le Maghreb et la Méditerranée du Sud. Son niveau technologique, l’efficacité relative de son administration, l’encadrement juridique et social la placent nettement en tête par rapport à ses voisins. D’autre part, la Suisse peut compter sur les cadres tunisiens, pas chers et familiers du contexte, pour l’aider à investir dans toute la région. De son côté, Tunis compte sur le savoir-faire helvétique face à ses difficultés économiques.
Pourtant, le régime musclé du président Ben Ali devient de moins en moins indispensable : la Libye, débarrassée de l’embargo qui la frappait, et l’Algérie, qui connaît une relative détente, deviennent des partenaires plus inté-ressants. Notamment à cause de leur pétrole.
« La Tunisie en elle-même, avec ses neuf millions d’habitants n’est pas intéressante pour les investisseurs étran-gers, affirme un économiste tunisien basé en Suisse. En comparaison, le Maroc en compte 25 millions ». D’autant que la Tunisie semble s’enliser dangereusement, comme le démontrent deux études récentes. Dans Les marges de manœuvre d"un « bon élève » économique : la Tunisie de Ben Ali, un rapport de 40 pages publié par le Centre d’études et de recherches internationales (CERI), Béatrice Hibou met en garde contre la perversité des chiffres. « Il ne faut pas que la bonne tenue des agrégats (PIB, investissements, consommation) masquent l’essoufflement du modèle de croissance en vigueur depuis le début des années 70 », écrit-elle.
Une thèse que vient étayer Bédoui Abdeljelil, professeur d’économie à l’Université de Tunis, militant des droits de l’homme. Dans une étude fracassante intitulée Une économie tunisienne face à des défis majeurs, ce syndica-liste notoire met en exergue le cercle vicieux dans lequel s’est enfoncée le pays. Pour lui, son essoufflement depuis le milieu des années 90 résulte du décalage entre la libéralisation économique et la mainmise de l’Etat sur la société civile. A cela s’ajoute la fragilisation du système bancaire, à cause des prêts sans garanties, qui risque de faire tache d’huile sur le reste de l’économie.

InfoSud -Carole Vann