Le livre « Notre ami Ben Ali » s’est vendu comme des petits pains. A peine sorti, il a été en rupture de stock.
Ca a été la grande surprise. Partout en france, des gens venaient acheter le livre à des centaines d’exemplaires. Sous prétexte qu’ils partaient en Tunisie. Jamais, notre éditeur n’avait vu ça. Il a du être réimprimé le jour même où il a été mis en vente à Paris. Maintenant, on en est au quatrième tirage.
C’étaient à l’évidence des Tunisiens qui voulaient assécher le marché. Les Marocains faisaient la même chose, il y a une dizaine d’années, quand un bouquin était défavorable au régime.
Mais les Tunisiens n’ont pas prévu que ça allait se retourner contre eux. Dès les premières semaines, les chiffres de vente étaient excellents. Donc tous les hypermarchés ont demandé l’ouvrage.

Pourquoi ce livre ?
Parce que rien n’avait été publié en France sur la Tunisie de Ben Ali depuis son arrivée au pouvoir il y a douze ans.

Vous n’y allez pas de main morte. Le ton est très dur, à la limite du pamphlétisme. Ben Ali est qualifié de « voyou de sous-préfecture ».
En effet, ce n’est pas un travail universitaire, ni pamphlétaire. Je pense que ce livre est plus équilibré que celui de Gilles Perrault sur le roi du Maroc. On ne s’est pas contenté de ne parler que des droits de l’homme, on a essayé d’élargir le sujet à tous les aspects de la Tunisie. Bien sûr, c’est un livre à charge.

Comment un personnage aussi médiocre a-t-il réussi à accéder au pouvoir et y rester pendant plus de 12 ans ?
Les circonstances l’ont bien servi à l’époque. S’il n’avait pas fait son coup d’état contre Bourguiba, il aurait été viré.
Ensuite, il a bénéficié d’un facteur clef : la montée de l’islam politique. Au début 1990, l’intégrisme arrivait en force en Algérie. Ben Ali a su se présenter comme le champion dans son pays de la lutte anti-islamique, recevant ainsi l’appui des pays européens à l’extérieur et de l’opposition laïque à l’intérieur. Jusqu’en 1995, les partis d’opposition le soutenait inconditionnellement. C’est effrayant de relire leurs propos au début 1990. Aujourd’hui, ces mêmes gens sont embêtés par le régime.

On observe des évolutions très différentes dans les trois pays du Maghreb.
Au Maroc, ils avaient un roi très intelligent, même si c’était une crapule. Comprenant que le vent avait tourné après la chute du mur de Berlin, il a libéralisé le régime. Il a essayé de trouver des accomodements avec l’opposition. Aujourd’hui, le Maroc donne le sentiment de progresser vers une démocratie.
En Algérie, c’est un peu pareil. Pendant les élections présidentielles, un vent de liberté a soufflé sur la presse algérienne, ce qu’on ne trouve pas dans la presse tunisienne.
Le paradoxe, c’est la Tunisie. Ce pays apparaissait comme un modèle il y a 12 ans. En fait, ça a complètement dérapé. Alors que, du point de vue économique et social (éducation, santé, statut de la femme), ils sont plutôt en avance. En revanche, sur le plan politique...

Pourquoi a-t-il fallu tant de temps pour dénoncer la Tunisie de Ben Ali, alors que pour le Maroc, des voix se sont élevées depuis les années 60 ?
A cause de la montée de l’islam politique très important au début 1990. Les régimes au pouvoir qui combattaient l’islamisme étaient perçus comme des amis de l’Occident. C’était pareil pour le régime algérien : à partir du moment où il combattait lislamisme, quelque soient les exactions qu’il pouvait commettre par ailleurs, on fermait les yeux, parce que l’essentiel pour l’Occident, c’était de combattre l’islam. Un peu comme en Iraq. On a prêté main forte aux Iraquiens dans leur guerre contre l’Iran et on leur a permis de gagner au nom de la lutte contre l’islam.

Est-ce que le diagnostic posé par Paris notamment sur le danger islamique a changé ?
En effet, le ton a changé à la fois dans la presse et dans le discours politique. Lors de ces dernières élections présidentielles, je n’ai pas relevé un seul article positif à l’égard de la Tunisie,même dans les journaux de droite. Car il n’y a plus de péril islamique. Dans le cas de la Tunisie, les islamistes sont tous en prison ou en exil. En fait, l’islam politique est en déclin dans toute la région.

Amnesty a annoncé la libéralisation de plusieurs centaines de détenus islamistes en Tunisie,ainsi que la promesse de libérer plus de 3 000 prisonniers. Les prisonniers sortis sont sous étroite surveillance. Est-ce tout de même le signe d’un assouplissement ?
Je le mets en parallèle avec la campagne anti-francophone qui se développe ces jours-ci dans ce pays. Les enseignes en français sont interdites. On doit s’adresser aux autorités en arabe. Ils ont brouillé les émissions de France 2. Presque toute la presse parisienne est interdite depuis trois semaines en Tunisie. On a l’impression qu’ils essaient de se venger contre ce qu’ils perçoivent être une campagne de presse anti-tunisienne en France. Alors, ils essaient peut-être de se raccrocher au courant islamique. Le test sera lors de la visite prévue de Jospin au début 2000. On verra ce qui se passera.

Comment voyez-vous la suite en Tunisie ? Quelle est la marge de manoeuvre de l’opposition ?
Il y a peu d’espoir. L’opposition est très fragmentée à l’extérieur et elle n’existe presque pas à l’intérieur, à part les islamistes peut-être.
Le régime ne va pas bouger de lui-même. Peut-être que, si la situation économique se dégrade, des choses pourraient bouger. Il ne faut pas oublier qu’en Tunisie, il y a eu des émeutes spontannée. Ca pourrait se reproduire.

Propos recueillis par Carole Vann / InfoSud