*Paris, le 4 octobre 2006 - L’adoption en fin de semaine dernière par le Congrès américain de la loi sur les Commissions Militaires (the Military Commissions Act 2006) est un véritable désastre et un affront aux droits de l’homme ainsi qu’aux libertés fondamentales les plus
basiques qui sont les fondements même de toute démocratie.

La FIDH et le CCR (Center for Constitutional Rights, l’organisation membre de la FIDH aux Etats-Unis)condamnent ce texte dangereux qui légalise la détention arbitraire, permet que des actes de tortures soient perpétrés en toute impunité et immunise rétroactivement les Américains auteurs d’abus perpétrés lors d’interrogatoires « poussés » contre des détenus dans le contexte de la « guerre contre le terrorisme ».

Ce texte qui met en place un nouveau système de commissions militaires sur le modèle des commissions déclarées illégales par la Cour Suprême en juin dernier, empêche toute personne non-américaine détenue par les Etats-Unis et soupçonnée de « soutenir » une organisation terroriste, de
contester en justice les raisons et les conditions de sa détention. En d’autres termes, n’importe quelle personne dans le monde peut être arrêtée par les Etats-Unis si ceux-ci considèrent qu’elle « pourrait » (un soupçon suffit à justifier la détention) être un « ennemi combattant illégal », et cette personne pourra être détenue par les autorités publiques américaines sans jamais pouvoir demander à la justice de statuer sur la légalité de sa détention, ou sur son traitement en détention. Selon le texte de la loi, la définition d’ « ennemi combattant illégal » est extrêmement large, et inclut ceux qui
fournissent un soutien matériel à une organisation terroriste. Cette définition trop vague impliquerait par exemple, que toute personne envoyant des dons à une organisation caritative en Afghanistan, laquelle serait suspectée d’avoir soutenu la famille d’un sympathisant des
Talibans ou d’Al-Qaeda, pourrait être considéré comme un ennemi combattant. Cette personne n’aura pas le droit d’invoquer l’habeas corpus, principe inhérent à tout système démocratique et qui remonte à la Grande Charte de 1215, qui veut que nul ne peut être détenu sans pouvoir demander à un juge si sa détention par l’Etat est justifiée en droit.

La loi laisse la porte ouverte aux détentions indéfinies et légalise ce qui a été pratiqué à Guantanamo depuis début 2002, et qui a été dénoncé deux fois ces deux dernières années par la Cour suprême fédérale américaine (en juin 2004 et et juillet 2006) ; trois fois cette année par les experts et comités des Nations Unies ; mais aussi par nombre de gouvernements. Pour rappel, 760 hommes ont été détenus à Guantanamo pendant plusieurs années, et seulement 10 ont été accusés de crimes par les Etats-Unis. Il reste aujourd’hui environ 460 détenus(que le CCR représente en grande partie), et pour l’immense majorité de ces hommes
qui ont passé presque cinq ans en détention, le gouvernement américain a été incapable à ce jour de les accuser du moindre crime ou délit, mais refuse toujours de les libérer.

Cette loi adoptée le 29 septembre dernier fonde désormais la recevabilité à un procès d’aveux obtenus sous la contrainte, alors que l’on sait que sous la contrainte et face à des techniques d’interrogations extrêmement intenses et résultant en des traitements cruels inhumains et dégradants, les fausses confessions sont nombreuses.

De façon tout aussi grave, le Président George W. Bush obtient, en vertu de cette loi, le droit à lui seul, et en secret, de décider ce qui constitue ou pas une technique d’interrogation « abusive ». Sachant qu’il est aujourd’hui avéré que, ces dernières années, le gouvernement Bush a pratiqué contre des détenus saisis dans le contexte de la
« guerre contre le terrorisme », des mises à l’isolement excédant un an, des privations de sommeil jusqu’à 50 jours, de l’hypothermie, des simulacres de noyades, des exploitations de phobies personnelles, des abus physiques, sexuels et autres, il n’est pas acceptable de remettre
dans les mains d’un homme, au surplus chef de l’exécutif et hors de tout contrôle, la décision de déterminer ce qui constitue une technique d’interrogation abusive. La nouvelle loi empêche ainsi tout tribunal américain d’appliquer le droit international pour déterminer si des
violations de l’article 3 commun aux Conventions de Genève, qui exige un traitement humain des détenus, ont été perpétrées par des agents américains. Enfin : ces dispositions s’appliquent rétroactivement, ce
qui revient à fournir une immunité absolue à tous les officiers coupables d’avoir maltraités des détenus à Guantanamo, à Abu Ghraib en Irak, en Afghanistan et dans d’autres centres de détention dans le monde.

Selon Sidiki Kaba, président de la FIDH, « il s’agit d’un recul extrême des libertés fondamentales, qu’ont validé les Représentants américains. Il ne s’agit pas d’un compromis, c’est une capitulation. C’est une triste nouvelle pour les défenseurs des droits civiques américains, ainsi que pour le pays tout entier, qui avait pourtant su montrer il y a trois mois, à travers sa Cour suprême, l’attachement de
ses institutions aux valeurs de démocratie et des droits de l’Homme. »

Vincent Warren, le directeur exécutif du CCR explique que : « La semaine dernière, le Congrès a décidé que les Etats-Unis rejoindraient les rangs des nations qui dans ce monde autorisent la détention indéfinie sans jugement et l’impunité aux auteurs de torture. Depuis plus de deux cents ans, notre Constitution a garanti que nous ne
sacrifierons pas nos valeurs démocratiques, même en temps de crise. Nous allons contester cette loi en justice et réclamons que l’Administration américaine maintiennent les principes inscrit dans notre Constitution qui sont, et qui doivent encore être, le pilier de vie dans une société
démocratique. »

En effet, CCR, avec le soutien de la FIDH, contestera en justice l’inconstitutionnalité de cette loi. Nos organisations examinent également la saisine de l’ensemble des voies de recours internationales compétentes, y compris onusiennes, aux fins de voir souligner l’incompatibilité absolue entre la loi adoptée et les obligations
internationales souscrites par les Etats Unis dans le domaine des droits de l’Homme.

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Gaël Grilhot
Responsable du Bureau Presse
FIDH
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