13/10/2006 ( Rwanda )
Albert- Baudouin Twizeyimana

Les mille personnes condamnées à mort au Rwanda ces dix dernières années, à la suite du génocide, devront peut-être la vie à la suppression de la peine capitale dans le Code pénal rwandais actuellement en discussion. Partout, les échanges sont vifs et les autorités sillonnent le pays pour recueillir l’avis de la population.
Si rien ne change, estiment certains, le nombre des condamnés va continuer à gonfler. Près de 70 000 suspects de génocide sont susceptibles d’être condamnés, estime Domitille Mukantaganzwa, secrétaire exécutive des juridictions Gacaca. "Les chiffres sont effarants. Aucun pays du monde ne peut exécuter au nom de la loi une telle masse de gens !", laisse entendre une militante des droits de l’homme.
En fait, la dernière exécution, qui a soulevé l’indignation internationale, date du 24 avril 1998 : 24 personnes ont été fusillées publiquement dans des stades. "La peine de mort est dépassée ; il faut mettre son abolition dans les faits", suggère un magistrat qui se dit embarrassé de continuer à prononcer cette peine alors qu’elle n’est plus appliquée.

Une peine "méritée" mais "irréversible"

Mais tous les Rwandais ne sont pas d’accord. Les rescapés du génocide, craignant toujours pour leur vie et estimant que la peine est méritée et proportionnelle aux crimes commis, réclament l’exécution des coupables. "Il faut les mettre hors d’état de nuire, d’autant que certains planifient la récidive", confie un survivant. Leur avis n’est bien sûr pas partagé par les familles des condamnés, les Églises, les militants des droits de la personne et le pouvoir exécutif rwandais, qui prônent tous la suppression de la peine capitale dans le Code pénal.
Lors de la conférence de presse du 30 mars 2006, le président de la République, Paul Kagame, a dit qu’il préférait "supprimer cette peine afin que le pays puisse juger les planificateurs du génocide rwandais". C’est, e, effet, une des conditions posées par Tribunal pénal international (TPIR) pour déplacer la cour d’Arusha à Kigali. "C`est aux Rwandais de choisir son maintien ou sa suppression", a-t-il déclaré. Les militants des droits humains penchent eux aussi pour faire évoluer le code selon les "tendances internationales". Pour la secrétaire exécutive de la ligue des droits de l`homme dans les Grands Lacs (LDGL), Francine Rutazana, "la peine de mort ne donne pas l’occasion de se corriger, alors que chaque peine doit être préventive et éducative". Comme bon nombre de ses collègues, elle plaide pour une large concertation de la population, pour trouver comment punir les coupables sans trop affecter leur famille. Pour elle, l’exécution renforce les rancunes au sein de la société. "Pire, c’est une peine irréversible, dit-elle. En cas d`erreur, rien n’est possible. Cela risque d’être un nouveau handicap à l’unité et a réconciliation dont le pays a tant besoin."
La quasi-totalité des Églises sont aussi d’accord pour dire qu’appliquer la peine de mort, c’est faire peu de cas de la valeur de la vie humaine. "Personne ne doit enlever la vie à l`homme que ce soit au nom de la loi ou de la criminalité", avertit un pasteur de l’Église méthodiste libre au Rwanda.

Pas de condamnation à mort pour les hauts responsables

Même certains survivants du génocide ne trouvent aucun soulagement dans l`exécution des coupables. "Nous n’avons rien gagné. Ça n’a pas résolu nos problèmes en tant que victimes", estime A. K., de Kigali. Pour elle, la mort ne fait pas peur aux criminels : "La preuve est que là où on applique encore cette peine, la criminalité ne diminue pas pour autant." De plus, personne ne tire satisfaction à voir quelqu’un mourir. "C’est un spectacle horrible, traumatisant, qui n’apporte rien au niveau moral, social, culturel", met en garde Claver Rukara, qui a assisté à la dernière exécution publique de 1998.
Jusqu’à présent, le Code pénal rwandais prévoit toujours la peine capitale à l’encontre des coupables de génocide, de viol de mineurs, d’homicide et pour certaines infractions militaires. Le Rwanda voudrait juger les hauts responsables du génocide dont la majorité a déjà été appréhendée par le TPIR. L’accord de transfert des prévenus prévoit qu’aucun accusé ne sera condamné à mort. Une trentaine des 45 dossiers prévus pour être jugés par Kigali, a déjà été remise au procureur général de la République. "La remise des dossiers sans accusés s’explique par le retard mis à supprimer la peine de mort dans le code rwandais", précise un agent du TPIR, ayant requis l`anonymat.
L’appareil judiciaire s’attelle donc à l`harmonisation des lois afin d’éviter une justice à deux vitesses.