"Honorable, qu’attendez-vous pour démissionner alors que vous êtes depuis longtemps accusé d’avoir participé au génocide ?" Cette question a été posée à maintes reprises au Président de la Chambre des députés du Rwanda, Alfred Mukezamfura, le dimanche 8 octobre 2006, lors de l’émission Cross Fire de Radio Contact FM. De tels propos, jugés tabous il y a quelques années, car on craignait les représailles, sont désormais régulièrement tenus sur les ondes. Dans les réunions publiques, jusqu’alors, les plus audacieux qui dénonçaient ce qui n’allait pas, étaient traités par les dirigeants de divisionnistes ou d’opposants. Aujourd’hui, du matin au soir, les appels téléphoniques envahissent les antennes pour crier au secours, dénoncer, condamner ou soutenir...
La douzaine de stations de radio privées ouvertes depuis trois ans offrent à la population rwandaise une opportunité de se défouler. Presque à chaque émission, les auditeurs appellent en direct. Les numéros des standards sont connus aussi bien des citadins que des villageois. Grâce aux téléphones portables, tout le monde peut appeler, y compris des zones rurales où ont été installés nombre de tuvugane ("Dialoguons"), des portables collectifs pré-payés.

Les leaders interpellés

Désormais, chaque invité à une émission-débat doit se préparer à un afflux d’appels pour lui demander de s’expliquer, le contredire, et, quand il s’agit d’un dirigeant, lui demander d’agir contre les injustices. Parfois ces interventions sont embarrassantes. Ainsi sur Contact FM, le président du Sénat a eu du mal à répondre à l’auditeur qui lui a demandé "pourquoi les parlementaires ne payent pas les impôts et autres droits d’entrée sur leurs véhicules ?" Le président de la République, lui-même, a été bousculé, début septembre, par les questions de la population.
"Connecter un agriculteur avec un haut placé du pays, faciliter leurs échanges sur un sujet constitue un grand pas vers l’ouverture de nos paysans", constate un journaliste de Radio Flash. Eddy Rwema, rédacteur en chef de Contact FM, estime que "le pluralisme médiatique offre un espace pour un débat contradictoire longtemps étranglé par le sens unique du temps de la radio unique. La population trouve un canal par lequel elle dénonce les exactions ou l’oppression des mauvais dirigeants, les violations de ses droits..." La majorité de la population est convaincue aujourd’hui que ses problèmes parviennent aux décideurs par la voix des radios. Certains en veulent pour preuve récente la révision de la mesure d’exclusion des taxis motos de la ville de Kigali, vivement condamnée sur les ondes. "Même s’il y a des problèmes qui ne sont pas résolus, on se contente de les avoir dénoncés", constate Ngoga, un auditeur. Pour certains, partager son opinion, c’est le début du dialogue.

Douze ans de prison pour un coup de téléphone

Cependant cette liberté, mais surtout l’anonymat des appels, conduisent parfois à de dangereux dérapages. Au mois d’avril, durant le deuil national, un auditeur qui avait déclaré à l’antenne de Contact FM "nous allons vous tuer encore" a été condamné à 12 ans de prison ferme. Sitôt la phrase radiodiffusée, un certain Hesron Hakizimana a été retrouvé par la police grâce à son téléphone portable, jugé et inculpé d’avoir propagé l’idéologie génocidaire.
Les attaques personnelles et diffamations se multiplient. S’adressant au président du Sénat, par exemple, un auditeur demande : "Est-ce vrai que, pour étudier à l’université, votre épouse bénéficie des frais d’études du fonds d’assistance aux rescapés du génocide nécessiteux ?". Certains se sentant lésés ou salis portent plainte contre les stations de radio.
Conscients des conséquences possibles de ces interventions en direct, les responsables des radios misent cependant sur la maturité de leurs auditeurs. "L’idée maîtresse de la libre antenne est d’éradiquer la censure. Nous supposons que nos auditeurs sont responsables de leurs messages", insiste le rédacteur de Contact FM. À la recherche d’audience, ces radios privées visent, pour le moment, la croissance du nombre de leurs auditeurs. Peu leur importe que certains racontent n’importe quoi ou s’ingèrent dans la vie privée des autres.
"Il faut des mesures de régulation afin d’éviter les radios de haine", avertit seulement un expert en communication.

Albert-Baudouin Twizeyimana