"Même si on n’arrive pas à nous prendre en charge, ce qui est important pour nous, ce sont nos droits", souligne Fatim Koné, la trentaine, amputée d’un membre inférieur dans un accident depuis trois ans, et en état de grossesse avancé — cinq mois. "Je ne suis pas née avec ce handicap, et bien que je sois dans cet état, j’ai tenu à faire un enfant. Mais depuis, j’ai été abandonnée par mon mari", a-t-elle déclaré à IPS ce week-end, à Abidjan, la capitale économique ivoirienne.

Selon elle, depuis l’annonce de sa grossesse, son ex-époux faisait l’objet de moqueries dans son milieu, ce qui l’aurait décidé à se séparer d’elle. Koné affirme qu’elle ne bénéficie pas non plus de soins adéquats du fait que sa famille estime qu’une personne handicapée ne doit pas porter une grossesse.

"Mon époux, puis mes parents m’ont fait savoir que mon handicap était déjà une charge. Etre enceinte en constituait une de trop d’autant plus que je ne travaillais plus et que je n’étais plus salariée. Ils ont décidé de me laisser tomber", explique Koné désormais décidée à défendre ses droits avec ses camarades. Avant son accident, elle était secrétaire dans une entreprise à Abidjan, avec un salaire mensuel de 240 dollars environ.

De son côté, Alice Kassy, 26 ans, atteinte de poliomyélite depuis le bas âge, déclare à IPS que "la honte oblige les personnes bien portantes à ne pas tenter une aventure amoureuse avec les handicapés. Nous sommes stigmatisés par la société et cela est aussi un obstacle à notre épanouissement".

"Certaines parmi nous sont nées avec leur handicap, d’autres l’ont été au cours de leur vie. Notre situation s’impose à la société et nous n’allons pas nous renier", estime Anne-Cécile Konan, handicapée et présidente de l’Union nationale des femmes handicapées de Côte d’Ivoire, une organisation non gouvernementale (ONG) basée à Abidjan. Ces femmes ont créé cette union en se retirant, depuis deux mois, d’une ancienne association qui regroupait hommes et femmes handicapés.

Le ministère ivoirien de la Famille, de la Femme et de l’Enfant estime à plus de 300.000 le nombre de femmes handicapées en Côte d’Ivoire. "Elles étaient peu il y a quatre ans. Mais avec la crise et les affres de la guerre, ce chiffre a connu une hausse", affirme le ministère, dans une déclaration, indiquant qu’aucune structure n’existe pour la prise en charge des handicapés dans ce pays coupé en deux depuis quatre ans par une rébellion armée.

L’ONG ’Vivre debout’, basée à Abidjan, et regroupant plusieurs handicapés, appelle à l’adoption du décret d’application de la loi d’orientation en leur faveur, votée au parlement ivoirien depuis 1998 et qui leur accorde les mêmes droits à l’éducation, à la formation, à l’emploi et aux loisirs que toute personne valide.

"Les femmes handicapées ont droit à une vie sexuelle normale. En matière de reproduction, la femme handicapée rencontre des problèmes difficiles qui doivent être suivis régulièrement", a déclaré Dr Kouadio Bohoussou, gynécologue obstétricien, professeur à l’Université de Cocody, à Abidjan.

Selon Bohoussou, les femmes handicapées restent des femmes comme toutes autres. "Humaines et féminines, elles peuvent enfanter. Le handicap n’enlève en rien leur qualité de future mère", explique-t-il. "Cependant, elles doivent faire l’objet d’une surveillance gynécologique annuelle, d’une surveillance prénatale en cas de grossesse et accoucher dans un centre de santé disposant d’un bloc opératoire".

"Si la femme veut se donner toutes les chances de vivre, ces précautions doivent s’accompagner d’un suivi post-natal, s’il s’agit d’une handicapée physique", a ajouté Bohoussou lors de la Journée nationale de la santé de la femme handicapée, célébrée le 26 octobre à Abidjan.

Pour Clarisse Madou Aka, une psychologue basée à Abidjan, la prise en charge psychologique des femmes handicapées "constitue d’abord le premier obstacle à surmonter. Elles veulent et peuvent enfanter certes, mais elles auront un double handicap à supporter face à la société".

"Le problème ne consiste pas en leur volonté d’avoir une vie sexuelle normale, mais la question est de savoir comment elles seront perçues dans leur entourage", explique-t-elle à IPS.

N’empêche, les femmes handicapées sont maintenant décidées de faire entendre leurs voix. Après avoir pris note des recommandations de Bohoussou sur les risques encourus en cas de grossesse, elles ont formulé une requête aux autorités afin de rendre plus efficaces les différentes campagnes sanitaires.

Par exemple, elles ont plaidé pour leur étroite implication à la conception, à l’élaboration et à la mise en œuvre de toutes les politiques de santé dans le pays, notamment dans la campagne de lutte contre la poliomyélite.

"Nous sommes pour la plupart victimes de cette maladie invalidante (la poliomyélite), et aujourd’hui mères pour certaines d’entre nous, nous pensons pouvoir être un véritable vecteur de sensibilisation des familles", ont-elle indiqué dans une déclaration. Elles ont également annoncé pour les prochains jours une cérémonie intitulée "Noël des oubliés" afin de se faire entendre davantage.

Selon le Fonds des Nations Unies pour la population, "les doléances de ces femmes devaient avoir un écho favorable. D’autant plus que victimes, elles savent plus que tout le monde les conséquences de leur handicap. Que les autorités compétentes accordent une attention à leurs requêtes".

La Côte d’Ivoire est divisée en deux par une rébellion armée qui occupe la moitié nord de ce pays d’Afrique de l’ouest. Les ex-rebelles estiment avoir pris les armes pour lutter contre l’exclusion présumée des populations de cette partie du pays. Depuis quatre ans, les différentes négociations entreprises pour ramener la paix n’ont abouti ni à la réunification du pays ni à la réconciliation nationale.

Le Conseil de sécurité des Nations Unies devrait adopter, cette semaine, une résolution sur la crise ivoirienne, relative à une nouvelle transition qui devrait de conduire le pays aux élections présidentielles avant le 31 octobre 2007.