’’La première fois où je suis allée au commissariat, le policier au comptoir m’a chahutée en disant que c’était peut-être parce que je ne satisfaisais pas mon mari sur le plan sexuel. Il a souri et m’a congédiée pour que je retourne à la maison satisfaire mon mari, affirmant que cela serait la fin des bastonnades’’.

Cela n’a pas été le cas — mais Linda n’a guère reçu plus d’aide au cours de sa deuxième visite à la police dans la capitale kényane, Nairobi, que durant la première. Lorsqu’elle est retournée dans le même commissariat, a indiqué Linda à IPS, elle a été refoulée par un policier qui a dit que sa plainte n’était pas une affaire pour les autorités. Maintenant, elle ne voit aucun intérêt à signaler les sévices, même si son mari continue de la battre.

Ce récit fait partie de nombreux autres qui ont été entendus durant ’16 jours d’activisme contre la violence de genre’ — une campagne annuelle célébrée au Kenya et dans d’autres pays dans le monde entier, du 25 novembre au 10 décembre.

Autant l’indifférence de la police joue un rôle en décourageant les femmes à rapporter la violence, autant les attitudes culturelles amènent les femmes à voir les bastonnades comme étant normales.

’’Certaines femmes ont été éduquées par la société à accepter que c’est normal qu’elles soient battues, et qu’il n’est pas nécessaire de rapporter ces choses. Ceci nécessite un exercice de création de prise de conscience pour amener les femmes à savoir que le fait d’être battue ou violée est inhumain’’, a déclaré Jane Onyango, directrice exécutive de la section kényane de la Fédération des femmes juristes.

L’absence de législation sur la maltraitance domestique a compliqué davantage les choses au Kenya.

’’Nous n’avons aucun cadre légal pour aborder cette question. Comment la victoire contre la violence domestique, en particulier la violence contre les femmes, peut-elle être même possible ?’’, demande Emma Nungari, directrice exécutive adjointe du ’Centre for Rights Education and Awareness’ (Centre d’éducation et de sensibilisation sur les droits). Cette organisation basée à Nairobi défend les droits des femmes, s’occupant d’au moins trois cas de violence domestique par jour.

Un projet de loi sur la violence domestique et la protection de la famille, qui visait à interdire des sévices physiques, sexuels et mentaux, a été introduit au parlement en 2000 alors que Daniel arap Moï était au pouvoir et fait obligation aux tribunaux de prendre des mesures en vue de protéger les femmes contre des partenaires violents. Il prévoyait également que des épouses et des enfants victimes d’abus demandent réparation à un fonds spécial du gouvernement pour couvrir les coûts d’un traitement médical, d’une assistance juridique et de conseils.

Toutefois, le projet de loi n’a pas été voté. Le gouvernement actuel de Mwai Kibaki n’a pas non plus réussi à le faire voter, ayant consacré le gros de son énergie au processus de réforme constitutionnelle.

Un projet de constitution présenté au public l’année dernière a abordé un certain nombre de questions que le projet de loi sur la violence domestique aurait traitées, estiment des spécialistes de genre. Toutefois, le projet a été rejeté au cours d’un référendum. Et, avec des élections prévues pour l’année prochaine, les chances que le projet de loi soit réintroduit pour des débats sont minces.

’’De toute façon, le projet de loi sera voté. Mais ce que nous ne savons pas, c’est quand cela sera fait. En attendant, sans une telle loi, nous ne pouvons pas aller loin’’, a déclaré Peterlis Nyatuga, directeur général de la Commission nationale sur le genre et le développement.

La commission, qui est chargée de conduire la recherche sur la violence de genre au Kenya et de conseiller les autorités en conséquence, a récemment mené une étude sur l’ampleur de la violence domestique dans ce pays d’Afrique de l’est.

Publiée en mai de cette année, ’l’Etude documentaire sur les questions de genre au Kenya’ indique qu’il y avait 9.169 cas de coups et blessures, et 3.509 de tentatives de viol et viols en 2005 — contre 8.959 cas de coups et blessures et 2.908 viols et tentatives de viols en 2004.

Sur un plan plus positif, un projet qui prévoit clairement des peines minima et maxima pour le viol et la souillure, a été voté au début de cette année.

Le code pénal ne stipulait précédemment que des condamnations maxima des délits sexuels, laissant des peines minima à la discrétion des magistrats qui sont libres de donner aux coupables juste un jour d’emprisonnement — ou même un service communautaire.

En vertu du nouveau projet de loi sur les délits sexuels, le viol entraîne maintenant une condamnation minimum de 10 ans d’emprisonnement, et une peine maximum d’emprisonnement à vie. Le projet de loi aborde également le problème du viol de la femme par son mari.

Ce qui est également préoccupant, ce sont les affirmations selon lesquelles des policiers et des magistrats n’arrivent pas à se familiariser avec la nouvelle loi, et continuent même d’utiliser l’ancienne loi relative aux délits sexuels. Même si le Kenya a pu avoir fait des progrès par rapport à la politique lorsqu’il s’agit de crimes sexuels, la pratique — semblerait-il — est toujours à la traîne.

(* Le nom a été changé pour protéger l’identité de la personne).

(FIN/2006)