New York, Sebastian Moll/InfoSud - En mars 2003, les troupes américaines avancent sur Bagdad. A 350 km au sud-ouest de la capitale irakienne, Chris Kyle, posté sur le toit d’une maison de Nasirya, attend en position de tir. L’œil rivé sur la lunette de son fusil 300 Winchester Magnum.

Alors que les Marines ratissent la ville, une femme et son enfant émergent d’une ruelle. Soudainement, elle glisse la main dans sa robe et en sort un objet jaune. A ce moment, Chris Kyle reçoit l’ordre de tirer. Après avoir demandé à nouveau s’il devait vraiment faire feu, le jeune homme prend une profonde respiration et appuie. La femme, touchée, laisse tomber la grenade qu’elle tenait dans la main. Une explosion retentit, mais aucun soldat américain n’est blessé. Un succès pour le Texan. « C’était grandiose ! », confie-t-il dans ses Mémoires, American Sniper, qui viennent d’être publiés aux États-Unis.

Machine à tuer

« Vous le faites encore et encore, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus personne à abattre. » Chris Kyle est insatiable. Durant ses états de service en Irak, le sniper a officiellement fait 160 victimes, soit plus que n’importe quel autre soldat américain dans cette guerre ou dans n’importe quel autre conflit. Officieusement, on pense qu’il aurait descendu plus de 250 personnes. Et cela, sans le moindre remords.

« J’ai adoré », écrit-il. Ajoutant, presque nostalgique : « J’y ai vécu les meilleurs moments de ma vie. » En 2007, lors de la bataille sanglante de Ramadi, le sniper est alors au mieux de sa forme. Durant les premières heures du combat, il tue deux douzaines d’Irakiens. « Ils sont tombés les uns après les autres. Chaque fois qu’ils passaient dans mon viseur, j’appuyais sur la gâchette », écrit-il d’une prose sèche et lucide.

Un palmarès qui lui a valu le surnom de « diable de Ramadi » de la part des insurgés, et de voir sa tête mise à prix pour 80 000 dollars. Une fierté selon lui, car « c’était la preuve que je faisais du bon boulot ». Seule ombre au tableau, un tireur d’élite d’un bataillon rival qui lui faisait de la concurrence. Les insurgés irakiens étaient même prêts à payer plus pour le voir mort, de quoi énerver Chris Kyle. « Bien sûr, je voulais être le meilleur. » Pendant la guerre en Irak, le meurtre est devenu, parmi les forces spéciales américaines, un sport de compétition. A chaque coup de feu, il fallait s’assurer que la victime était bien morte. « Si tu touches une personne d’une balle dans l’estomac, il se peut qu’elle s’en sorte. » Et, à ce petit jeu, c’est le Texan qui, au final, a gagné.

« Zigouiller les méchants, avant qu’ils descendent nos gars », tel était son leitmotiv. Et pour le Marine, il n’y avait pas le moindre doute sur qui étaient les méchants et les gentils. Les insurgés étaient, pour le tireur d’élite, des « bêtes », des fanatiques « inhumains ». Après dix ans de service, il ne regrette aucun coup de feu, chacun « d’eux méritait de mourir ». Si Chris Kyle peut refléter l’image d’un monstre, d’un tueur de masse au sang froid, l’armée voit les choses différemment. Le jeune homme est couvert de décorations et d’honneur. Un héros américain, mais un héros modeste.

Rêve de cow-boy

Chris Kyle a grandi dans un ranch au Texas, sur une terre où il n’existait que Dieu, la patrie, la famille et la dureté du travail. Son père, intransigeant, lui tapait régulièrement sur les doigts. Mais Chris Kyle n’est pas amer, au contraire, c’était pour lui une éducation idéale pour se préparer à la vie de soldat. Jeune, le « diable de Ramadi » voulait plutôt devenir cow-boy. Mais suite à une grave blessure lors d’un rodéo, il a dû changer d’orientation. Il a abandonné l’école et s’est enrôlé dans l’armée, désireux d’aller au combat.

En 2003, c’est avec la rage qu’il rentre de sa première affectation en Irak. La raison : son unité a dû plier bagage prématurément. « Je me sentais comme un sale lâche. » Six ans plus tard, Chris Kyle doit à nouveau rentrer précipitamment du front. Mais, cette fois-ci, c’est pour des raisons de santé. Il est pris de crises de panique, de palpitations et de sueurs froides. Aurait-il été rattrapé par les horreurs de la guerre ? Non, rien de grave pour le Marine qui ne veut pas entendre parler des troubles dus à un stress post-traumatique. Mais sa femme voit les choses un peu différemment. Il se réveille souvent en sursaut la nuit. Une fois, encore endormi, il lui a presque cassé le bras. Même s’il refuse de le reconnaître, difficile pour le « diable de Ramadi » de laisser entièrement derrière lui son passé de serial killer en Irak.